Publié dans le magazine Books n° 48, novembre 2013. Par Frank Thadeusz.
Au début du XXe siècle, bien avant l’émergence du nazisme, la plupart des médecins et des chercheurs allemands attribuaient aux groupes sanguins une signification raciale et psychopathologique. L’un des principaux défenseurs de la théorie était juif.
Pour une grande partie de l’humanité, la Première Guerre mondiale fut un cataclysme d’une violence inédite. Pour Ludwik Hirszfeld, ce fut une aubaine. Ce médecin allemand, qui dirigeait avec son épouse Hanna un laboratoire de bactériologie à Salonique, eut soudain à sa disposition presque autant de cobayes humains qu’il pouvait en rêver : les soldats des armées alliées d’Orient, venus de France et de Grande-Bretagne, d’Italie, de Russie et de Serbie, que les troupes allemandes avaient encerclés dans le port grec (1). Pour mener à bien l’une des plus grandes études de terrain de l’histoire de la médecine, Hirszfeld n’hésita pas à harceler ces hommes à bout de forces. Et savait s’adapter aux différentes cultures pour les convaincre de se laisser faire une prise de sang.
« Avec les Anglais, il suffisait de dire qu’il en allait du progrès de la science », se souvient Hirszfeld dans ses Mémoires (2). À ses « bons amis français », l’ingénieux chercheur promettait de dévoiler, en contrepartie, avec qui leur sang « leur permettait de fauter en toute impunité ». Il parvenait même à persuader les tirailleurs sénégalais, auxiliaires...