La nouvelle jeunesse du débat nature/culture

Sommes-nous déterminés par nos gènes (« nature »), par notre environnement (« culture »), ou par les deux à la fois ? Dalton Conley, un Américain à la fois biologiste et sociologue, spécialiste de cette discipline d’émergence récente qu’est la sociogénomique, propose une réponse plus nuancée mais quasiment révolutionnaire : non seulement gènes et environnement collaborent, mais ils se modèlent et se conditionnent réciproquement, si bien que les opposer l’un à l’autre n’a pas grand sens. Les gènes n’agissent pas seulement à l’intérieur du corps, explique Conley, mais aussi à l’extérieur en influant sur l’environnement qui conditionne largement leur expression ; or les gènes à leur tour – les nôtres comme ceux de notre entourage – influent directement sur la constitution de cet environnement. La boucle est bouclée, une boucle de Möbius, c’est-à-dire un ruban aux deux faces indéfiniment mélangées. 


Prenez par exemple quelqu’un muni du gène du sprinter (il est identifié : c’est le gène ACTN3). Son heureux porteur sera-t-il obligatoirement un futur champion ? Non, car beaucoup d’autres facteurs entrent en jeu : la motivation, le soutien parental, les encouragements reçus, l’accès à des facilités d’entraînement, etc. Or ces éléments environnementaux sont produits en fait par des gènes : ceux du sprinteur lui-même, qui contribuent à ce qu’il se crée un environnement favorable à son développement sportif, et ceux des autres personnes – proches, éducateurs, etc. – aussi appelées à jouer un rôle dans la constitution de cet environnement. Autre exemple de cette boucle de rétroaction nature/culture, c’est-à-dire gènes/environnement : la dépression. Quoique d’origine largement génétique, celle-ci est souvent déclenchée par des accidents de la vie – et les gens prédisposés à la dépression paraissent beaucoup plus exposés que les autres à de tels d’accidents. « Ce n’est aucunement de leur faute, bien sûr ; mais cela confirme que la programmation génétique de ces personnes et le monde dans lequel elles évoluent sont étroitement entremêlés », résume Conley, qui consacre la majeure partie de son livre à démontrer le fondement scientifique de « ce changement de paradigme ».


Tout commence avec le décryptage progressif du génome humain, puis avec la découverte subséquente qu’il fallait aussi prendre en compte des innombrables variants génétiques présents sur les chromosomes. Pour les quelque 20 000 gènes qui constituent notre génome on compte plusieurs millions de variants qui affectent très différemment nos gènes, en quantité comme en qualité (certains gènes ont peu de variants, et certains variants sont beaucoup plus dommageables que les autres). Heureusement, une méthode a été récemment mise au point, l’« index polygénique » (PGI), pour évaluer l’impact probable des variants présents sur un génome, et donc déterminer la présence d’un trait spécifique ou prévoir le risque d’une maladie. Les recherches de Conley se fondent sur le PGI, qu’il utilise quant à lui dans une perspective sociologique pour montrer qu’on ne peut envisager le patrimoine génétique d’un individu sans prendre en compte son contexte culturel et social. 


« Les gènes agissent à travers l’environnement, lequel permet à certaines personnes de se choisir un environnement approprié ou d’agir sur le leur, et en empêche d’autres de laisser leurs gènes s’exprimer à plein du fait de circonstances comme la guerre, la pauvreté, la discrimination… », résume le professeur Glenn C. Altschuler dans Psychology Today. Il ajoute : « aux États-Unis par exemple, un génome comportant une propension à l’agressivité pourra mener l’enfant d’une famille aisée à habiter dans un luxueux appartement tandis que celui issu d’un quartier défavorisé se retrouvera en prison ». Car l’agressivité peut être un plus ou un moins, une « qualité » ou un handicap, selon le contexte dans lequel elle se déploie. Et ce contexte est à son tour structuré par les gènes, comme on le constate dans le cas des relations amicales. L’étude de la corrélation entre PGI et environnement sociologique montre en effet que nous nous lions prioritairement aux gens avec un patrimoine génétique voisin du nôtre – du moins s’agissant de certaines caractéristiques fondamentales comme les capacités cognitives. Pour cet aspect-là, le génome de nos proches amis est aussi voisin que celui de nos cousins germains. « C’est donc avec nos gènes que nous choisissons nos amis, et ce sont avec les leurs qu’ils nous choisissent ! », conclut Dalton Conley. CQFD. 

LE LIVRE
LE LIVRE

The Social Genome: The New Science of Nature and Nurture de Dalton Conley, W. W. Norton & Company, 2025

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