La nature, sujet de droit
Publié en avril 2024. Par Books.
Accorder des droits aux arbres, aux montagnes ou aux fleuves est une pratique encore rare, mais qui se répand. En 2017, par exemple, le Parlement néo-zélandais a reconnu au Whanganui, cours d’eau sacré pour les Maoris, la qualité d’« être vivant unique », le dotant ainsi d’une personnalité juridique. Beaucoup verront là des dérives prêtant à sourire. C’était le cas du philosophe Tilo Wesche, jusqu’à ce qu’il se penche sérieusement sur la question. Sa perplexité narquoise n’y a pas résisté. Le résultat de ses réflexions est paru outre-Rhin dans un ouvrage qui invite à repenser de fond en comble le concept de propriété.
Wesche « définit, de façon classique, le droit de propriété comme le pouvoir autorisé de disposer exclusivement de certaines choses, explique Joseph Hanimann dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il est ainsi devenu une promesse de liberté et un pilier du projet des Lumières, qui inclut également l’émancipation et la liberté face à une nature devenue disponible. Cependant, à l’ère des crises environnementales croissantes, la promesse d’émancipation se transforme en son contraire. Wesche recommande d’approfondir le projet des Lumières en révisant le concept de propriété. »
Il distingue la propriété des choses (Sacheigentum) de celle des biens (Gütereigentum). La théorie traditionnelle ne reconnaît que la première. Or, elle met dans le même sac aussi bien « les appareils ménagers, les produits du travail, les denrées alimentaires de base » que « les produits de luxe, le charbon, la terre, les arbres, bref, tout ce qui est possédable ». C’est là, pour Wesche, une conception bien pauvre. Selon lui, la propriété des biens ne donne pas, elle, tous les droits au sujet possédant. L’objet possédé en a aussi. Après tout, « les forêts ne sont pas tout à fait la même chose que les tonnelles de jardin », poursuit Hanimann. Reste un problème : la nature ne saurait faire valoir les droits qu’on lui accorde. Qui le fera pour elle ? La loi, répond Wesche. Comme pour le Whanganui néo-zélandais. Soit. Pas sûr qu’un tel déploiement philosophico-juridique résiste à la dure réalité des grands intérêts économiques.