La lente invention de la carte d’identité
Publié le 5 janvier 2016. Par La rédaction de Books.
La Suède exige, depuis lundi, une pièce d’identité de quiconque voudrait traverser le pont qui la relie au Danemark, principale porte d’entrée des réfugiés dans le royaume. Le document d’identité, devenu banal aujourd’hui, a pourtant mis longtemps à s’imposer. Le politologue Pierre Piazza le rappelle dans Histoire de la carte nationale d’identité : il a fallu plusieurs décennies avant sa généralisation en France. L’idée de pouvoir identifier les citoyens français grâce à des documents fiables ne devient en vogue qu’à l’orée de la Première Guerre mondiale.
C’est à la fin du XIXe siècle, avec l’essor des méthodes de la police « scientifique » comme l’anthropométrie judiciaire, que les autorités ont commencé à recenser certaines catégories de populations dites « marginales ». En 1912, l’Etat crée le carnet anthropométrique pour les nomades ; en 1917, pour les étrangers. Les Français, eux, prouvent leur identité avec toutes sortes de documents, du livret de famille à la carte de la compagnie de chemins de fer, et surtout grâce à la présentation de témoins. Après la Grande Guerre, pour assurer la protection de la communauté nationale, la création de la carte d’identité pour tous est proposée.
En 1921, le préfet de police de Paris l’adopte, uniquement pour le département de la Seine. Les Parisiens résistent. Leur mécontentement porte sur la méthode, et notamment le relevé de l’empreinte digitale. Ils s’indignent : on ne peut pas soumettre l’honnête citoyen aux techniques utilisées par les policiers pour traquer les délinquants. Surtout, le système est loin d’être fiable. Rien ne garantit qu’une personne ne dépose pas plusieurs demandes de carte ou ne produise de faux justificatifs. Mais la carte d’identité prend petit à petit sa place aux côtés des autres documents d’identification. Au début des années 1940, elle est définitivement entrée dans les mœurs.