La jeunesse d’un pape
Publié en janvier 2025. Par Books.
« Les premiers Mémoires d’un pape en exercice » proclament les éditeurs, une centaine, à travers le monde. C’est une gentille attrape, mais pour la bonne cause. D’abord on connaît au moins un autre exemple de tels Mémoires papaux : les 13 volumes des Commentaires de Pie II, un pontife de la Renaissance. Sans oublier les précédents récits autobiographiques de Jean-Paul II, de Benoît XVI et aussi du pape François lui-même, qui a la plume abondante (et élégante – ne fut-il pas enseignant « d’écriture créative » ?). Et puis, s’agit-il d’une véritable autobiographie ? Dans ces Mémoires qui ne couvrent surtout – et à très grands traits – que l’enfance et la jeunesse de François, peu de traces de francs aveux ni de l’auto-flagellation inhérents au « pacte autobiographique » moderne. Oui, le pape s’avoue intrinsèquement pécheur et livre des réminiscences dont il rougit encore. Mais il ne s’agit que de péchés véniels – en commet-on vraiment d’autres à ces âges-là ? Et puis, dit The Economist, « si l’on est un bon candidat pour la papauté, on est presque par définition un mauvais sujet de biographie ».
Avec candeur et sincérité, François conforte plutôt son personnage d’homme du peuple « qui révère sa grand-mère, l’humilité, le foot, Dieu et la pizza – mais pas nécessairement dans cet ordre », ironise The Economist. En fait, François réitère en se racontant son traditionnel message antiguerre, anti-pauvreté, anti-injustice et surtout anti-indifférence, en l’articulant plus ou moins chronologiquement avec ses souvenirs personnels. S’il évoque longuement ses grands-parents venus du Piémont jusqu’en Argentine après la Première Guerre, c’est pour plaider la cause de tous les migrants et de toutes les victimes civiles des guerres contemporaines (le quadruple des victimes militaires). Les années d’étudiant sont l’occasion d’un retour sur ses engagements politiques, mais aussi sur son amour de la musique classique et du tango (« qui fait danser même le silence »). Son rôle comme prêtre puis évêque pendant les années noires de l’Argentine lui permet de rappeler l’horreur des dictatures (et au passage le fait, un temps contesté, qu’il a soustrait nombre de gens aux sbires de Videla).
Quand enfin il décrit l’exercice de cette charge qui lui est tombée dessus sans qu’il la souhaite – mais sans qu’il puisse « dans l’état actuel de l’Église » la refuser –, il fait de discrètes allusions aux difficultés d’un pontife « trop conservateur pour les uns, pas assez pour les autres, à l’image de l’Église catholique actuelle » lit-on sur The Conversation. D’ailleurs quelques cardinaux n'avaient-ils pas essayé de torpiller son élection au faux motif qu’ayant perdu un poumon il ne pourrait assumer son immense tâche (en réalité, on ne lui avait enlevé qu’un lobe, et cela en 1957 !) ? Les récits de rencontres et de voyages à travers la planète lui servent en revanche à marteler son propos spirituel, social et politique, notamment sur le cynisme des pays riches vendeurs d’armes. La publication de ces Mémoires en principe posthumes a été avancée pour coïncider avec l’année jubilaire 2025. Mais en vrai l’image de l’auteur – et peut-être celle de l’Église aussi – ne font qu’y gagner.