La grève des balais
Publié en octobre 2024. Par Books.
Lors d’un séjour en Argentine, l’écrivaine colombienne Laura Ortiz Gómez, locataire d’une maison délabrée et insalubre au loyer exorbitant, évoque dans son roman Indócil un événement peu connu : la grève des locataires à Buenos Aires en 1907, appelée « la grève des balais ».
Laura Ortiz Gómez décrit une Argentine dont l’oligarchie revendique et finance l’anéantissement de milliers d’Indiens lors des fameuses « Campagnes du désert » à la fin du XIXe siècle. L’objectif : récupérer leur territoire pour le peupler avec l’immigration européenne. Mais contrairement à l’espoir de voir s’installer des Anglais et des Allemands pour « améliorer la race », les nouveaux arrivants étaient des Espagnols et des Italiens pauvres, installés dans des « conventillos », maisons collectives surpeuplées. Nombre d’entre eux étaient animés d’idées anarchistes, remettant en cause la propriété privée.
Indócil raconte l’histoire d’amour et l’étincelante rébellion de Vira et Olena. Armées de leurs balais, elles déclenchent une grève « transformant la poussière en poésie et les murs en témoins d’une révolution ». C’est une fable chorale qui donne voix à des personnages insolites. Chaque chapitre correspond à un personnage différent comme l’histoire de la jeune fille indienne Tehuelche, racontée avec la voix de ses os enfouis dans un mur de la maison.
L’influence et le rôle de l’anarchisme dans les mouvements sociaux de l’époque sont un thème central. L’auteure explique dans un entretien à El País Colombia ses recherches approfondies sur la Federación Obrera Regional Argentina (FORA), une organisation anarchiste cruciale dans l’histoire de la classe ouvrière du pays. En récupérant ces récits, Ortiz Gómezoffre une vision plus complexe et nuancée des luttes sociales en Argentine, en mettant en lumière la manière dont les idées anarchistes ont imprégné et façonné les discours et les actions de résistance contre les injustices structurelles du pays.
Sur une note plus anecdotique et personnelle, Laura Ortiz Gómez raconte dans la même interview son expérience en tant que locataire dans le quartier de San Telmo, à Buenos Aires : « J’ai vécu récemment dans une maison du début du XXesiècle qui était vraiment délabrée, mais les conditions de location étaient usuraires. Il y avait des dégâts des eaux, les égouts bouchés et les propriétaires ne voulaient jamais s’occuper des réparations. De plus, les loyers augmentaient sans plafond légal et, en raison de l’inflation, une augmentation de 60 % tous les six mois était habituelle. La question des locataires et des loyers m’a obsédée. Je me suis demandé comment il était possible que, dans une ville où il y a tant de mobilisation, tant de protestations, il n’y ait pas d’espace pour la défense des locataires. »
Après Sofoco (« J’étouffe »), son premier recueil de nouvelles (Barrett, 2021), Indócil est son premier roman.