Publié dans le magazine Books n° 61, janvier 2015. Par Steven Aschheim.
Une nouvelle biographie du grand exécuteur de la politique juive du IIIe Reich pulvérise l’image tenace d’un « petit homme » sans relief, fonctionnaire besogneux dont le seul crime aurait été d’obéir aux ordres. Cette légende qu’il a construite lui-même lors de son procès a dupé Hannah Arendt. Si la philosophe a ouvert un débat fécond sur la relation entre banalité bureaucratique et génocide, elle a pris pour étayer sa thèse, avec cet idéologue fanatique, le plus mauvais exemple qui soit.
Depuis sa capture au début des années 1960, Otto Adolf Eichmann, l’homme en charge des affaires juives sous le IIIe Reich, est l’objet d’une controverse passionnée et jamais résolue, fondée avant tout sur le portrait qu’en fit Hannah Arendt à l’occasion de son procès en 1961. À bien des égards, son
Eichmann à Jérusalem reflétait l’image que l’accusé cherchait à donner de lui-même. La philosophe soutenait que, contrairement aux attentes, l’homme qui se trouvait sur le banc des accusés n’était pas une espèce de démon nazi sadique, mais un bureaucrate inconscient, relativement anonyme et dépourvu d’idéologie, qui exécutait consciencieusement les ordres relatifs à l’émigration, à la déportation et au meurtre des Juifs d’Europe. Les idées développées par Arendt – génocide et banalité bureaucratique ne s’opposent pas nécessairement ; l’antisémitisme fanatique (ou, d’ailleurs, n’importe quelle prédisposition idéologique) n’est pas une condition suffisante au meurtre de masse – conservent leur pertinence.
Mais, comme le montre Bettina Stangneth dans « Eichmann avant Jérusalem » (un dialogue critique, bien que respectueux, avec Arendt),...