Publié dans le magazine Books n° 73, février 2016. Par Christopher de Bellaigue.
Au tournant du XXe siècle, dans un Moyen-Orient en pleine effervescence intellectuelle face au défi représenté par l’Occident, une génération de réformateurs lit et diffuse la pensée scientifique occidentale. Le chef de file de ce courant libéral est grand mufti d’Égypte. Sa démarche continue d’inspirer tous ceux qui, dans la région, veulent réconcilier l’islam avec la modernité.
C’était au printemps 1910. Ahmed Kasravi aimait à monter le soir sur le toit de sa maison pour observer le mystérieux projectile qui traversa cette année-là le ciel nocturne pendant plusieurs semaines. Ce jeune Iranien qui étudiait au séminaire pour devenir mollah ne savait pas de quoi il s’agissait, mais, d’instinct, il ne souscrivait pas à l’opinion dominante dans sa province pauvre et arriérée d’Azerbaïdjan : la présence de cette « étoile avec une queue », pensaient la plupart des gens, était liée d’une manière ou d’une autre aux turbulences politiques que connaissait l’Iran d’alors ; et elle annonçait la fin du monde. Ses observations nocturnes mettaient au contraire Ahmed Kasravi en joie. Mais un bonheur plus grand encore s’empara de lui lorsqu’il tomba sur la revue arabe
al-Muqtataf : loin de porter un funeste présage, l’objet céleste était une comète dont les mystères avaient été percés depuis longtemps par un astronome anglais, Edmund Halley. Cette découverte conforta Ahmed Kasravi, déjà célèbre au séminaire pour son attitude méprisante envers ses professeurs, qu’il...