Publié dans le magazine Books n° 23, juin 2011. Par Bernard Porter.
Le fusil d’assaut le plus réputé du monde est issu du plus bancal des systèmes économiques. Comment expliquer ce paradoxe ? Par l’efficacité opérationnelle du complexe militaro-industriel soviétique. Et le lamentable échec de son concurrent américain, le M16.
Le fusil automatique Kalachnikov est léger, portable et bon marché. Il ne s’enraye quasiment jamais, même dans les conditions les plus extrêmes – chaleur tropicale, froid arctique, marécages, déserts. Sa simplicité est telle que des « écoliers peuvent le démonter et le remonter en moins de trente secondes », dit-on. On en a fabriqué et distribué des millions d’exemplaires à travers le monde (1). Et cette arme est devenue la figure emblématique des guérillas anticoloniales et des mouvements terroristes ; on retrouve même sa silhouette caractéristique sur le drapeau mozambicain. Pour en revenir à l’essentiel, la kalachnikov a probablement tué plus de personnes que toute autre arme légère de l’histoire. Tout cela en fait l’une des grandes réussites industrielles des temps modernes.
Ce fut, on le sait, une réussite soviétique. Pour C.J. Chivers, va-t-en guerre froide rétrospectif, qui a grandi sous l’influence du discours dominant sur la supériorité du marché – on pourrait parler de lavage de cerveau –, cela pose un petit problème. L’industrie soviétique, entravée par les directives étatiques et la planification, non compétitive et sans la carotte...