Publié dans le magazine Books n° 10, novembre-décembre 2009. Par Alexander Provan.
On a tant fait couler d’encre sur la vie de Kafka qu’on a fini par oublier la beauté de l’œuvre. Dans l’imaginaire collectif, l’écrivain tchèque de langue allemande tend à se confondre avec l’adjectif qu’il a généré : kafkaïen. Les exégètes y ont contribué, faisant de lui le « saint patron des névrosés, des déprimés, des anorexiques, des chétifs, des tordus » (Kundera). La nouvelle biographie que publie aujourd’hui le romancier Louis Begley entend libérer Kafka de cette mythologie. Puisant à des sources peu exploitées, l’auteur brosse un portrait complexe d’un être écartelé entre judéité et culture allemande, entre le « bureaucrate enraciné en lui » et une vie intérieure intense et tourmentée.
Écrire des aphorismes, observa un jour l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, c’est se livrer à un « art inférieur d’esprits au souffle court, un art dont certaines gens, surtout en France, ont vécu et vivent encore, en quelque sorte des pseudo-philosophes pour tables de nuit de malades […] dont les maximes finissent par s’étaler sur tous les murs de salles d’attente des cabinets médicaux [1] ». C’est aujourd’hui le lamento le plus courant parmi les nouveaux biographes et les adorateurs de Franz Kafka : au cours des quatre-vingts et quelques années qui se sont écoulées depuis sa mort, la déification de l’écrivain a ramené son œuvre au niveau de l’aphorisme. Si Kafka ne figure pas encore sur les murs de toutes les salles d’attente, la photo de son visage dur et de son regard triste, qui passe pour le parfait reflet de sa vision du monde, semble parfois être partout ailleurs ; jusque sur la couverture de l’essai biographique que le romancier Louis Begley vient de lui consacrer, sous le titre
Franz Kafka : « Le monde prodigieux que j’ai dans la tête ». Ses nouvelles, plus que ses romans,...