Juifs, Arabes, un malheur en commun
Publié en décembre 2011. Par Sophie Gherardi.
Attention, champ de mines. Métaphoriquement parlant, qu’on se rassure. Mais voilà un livre qui met à rude épreuve les catégories proprettes au milieu desquelles il est si bon d’évoluer mentalement. Le titre alarme déjà : Israël : les maladies des religieux. De quoi donc va-t-il s’agir ? D’un essai sur les psychopathologies des juifs orthodoxes et/ou des fous d’Allah ? On s’apprête à aller fouiller dans les malles débordantes – depuis le temps ! – où l’on a fourré toutes les analyses et toutes les indignations ramassées au long d’une vie sur ce conflit qui a l’outrecuidance d’être né avant nous et une probabilité non négligeable de nous survivre. C’est bon, on est paré pour affronter une controverse qui est forcément une variante du déjà vu. Et là, stupeur.
Le petit livre qu’on commence à lire est une enquête sans fioritures sur les maladies génétiques en Israël. Or il y en a beaucoup, énormément même, nous apprend Yves Mamou, jusqu’à tout récemment journaliste au Monde où il suivait le secteur de la santé. Au lecteur ahuri qui aimerait tant qu’on n’associe pas un groupe humain – pas les juifs ! pas les Palestiniens ! – à des tares héréditaires, il assène des statistiques, toutes inexorablement ethniques. Il y a les maladies des juifs ashkénazes (une cinquantaine sont répertoriées) et celles des juifs d’Afrique du Nord, mais aussi celles très spécifiques des juifs irakiens ; et puis il y a les maladies des Arabes, israéliens ou des Territoires palestiniens, celles des Bédouins et celles des Druzes. Parfois, ce sont les mêmes affections que l’on retrouve d’un groupe ethnique à l’autre, avec des taux de prévalence variables, comme la thalassémie, une forme d’anémie qui peut être relativement bénigne, ou la maladie de Tay-Sachs, qui paralyse progressivement les enfants, les rend aveugles et les emporte avant l’âge de cinq ans. Précisément détaillée par l’auteur, toute une palette de maux et de déficiences plus ou moins curables frappent dans des proportions inconnues ailleurs les habitants d’Israël et de Palestine.
L’explication est simple : la consanguinité. Les communautés juives de la diaspora ont vécu pendant des siècles en cercle fermé, soit qu’elles fussent assignées au ghetto, soit qu’elles choisissent pour des raisons culturelles de favoriser les unions entre cousins. De ce point de vue, l’arrivée en Israël et le brassage qui en est résulté a contribué à élargir le bassin génétique et à réduire la prévalence de certaines maladies. Mais il n’en est pas allé de même chez les Arabes, chez les Druzes et chez les Bédouins, et pas non plus chez les juifs orthodoxes. Dans tous ces groupes, le mariage entre cousins, souvent cousins germains, est resté fréquent, voire majoritaire, même s’il tend à se réduire.