Je ne sais pas si ce sont des préjugés, mais j’y tiens
Publié dans le magazine Books n° 116, novembre-décembre 2021. Par Elizabeth Kolbert.
Même si nos croyances sont infirmées par les faits, nous nous y cramponnons comme une bernique à son rocher. Serait-ce un mécanisme de défense lié à l’évolution de notre espèce, puissamment entretenu par l’illusion que nous en savons beaucoup plus sur l’objet de notre croyance que ce n’est le cas en réalité ?
En 1975, des chercheurs de Stanford invitèrent un groupe d’étudiants à participer à une étude sur le suicide. On leur remit des lettres d’adieu rédigées avant l’acte fatal, regroupées par paires. Dans chaque paire, seule l’une des deux lettres avait été écrite par une personne qui s’était donné la mort. Les étudiants devaient identifier les lettres authentiques.
Certains étudiants découvrirent qu’ils avaient un talent pour cette tâche. Ils parvinrent à identifier vingt-quatre lettres authentiques sur vingt-cinq. D’autres réalisèrent qu’ils n’étaient pas faits pour ça – ils n’avaient réussi l’exercice que dix fois. Comme c’est souvent le cas avec les études psychologiques, les dés étaient pipés. Si la moitié des lettres étaient effectivement authentiques (elles avaient été fournies par l’institut médico-légal du comté de Los Angeles), les résultats annoncés, en revanche, étaient pure invention. Les étudiants à qui l’on avait dit qu’ils avaient eu presque tout bon n’étaient en moyenne pas plus perspicaces que ceux à qui l’on avait...