Fin novembre 1938, dans la feuille hebdomadaire qu’il publiait en anglais,
Harijan, Gandhi se pencha sur le problème posé par l’éventualité de la création d’un État juif en Palestine (alors sous mandat britannique). « Toute ma sympathie est acquise aux Juifs, écrit-il. Je les ai fréquentés intimement en Afrique du Sud. Certains d’entre eux sont devenus des compagnons pour la vie. Grâce à ces amis, j’ai pu mieux connaître la persécution à laquelle ils ont été soumis depuis la lointaine histoire. Ils ont été, en quelque sorte, les intouchables de la Chrétienté. La similarité entre le traitement que les chrétiens leur ont infligé et celui que les hindous infligent aux intouchables est frappante. Un jugement de nature religieuse a été invoqué dans les deux cas pour justifier les traitements inhumains qui ont été infligés aux uns comme aux autres […]. Mais ma sympathie ne me rend pas sourd aux exigences de la justice. L’appel à un foyer national pour les Juifs ne me séduit guère […]. La Palestine appartient aux Arabes de la manière dont l’Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français. Il serait injuste et inhumain d’imposer une domination des Juifs sur les Arabes […]. Ce serait à coup sûr un crime contre l’humanité que de contraindre les fiers Arabes à accepter que la Palestine retourne en tout ou en partie aux Juifs pour en faire leur territoire national. Une cause plus noble serait d’insister pour que les Juifs bénéficient d’un traitement équitable partout où ils sont nés et ont grandi. »
On connaît la suite. On le sait moins, depuis quelque temps, la figure de Gandhi reprend chair en Palestine. Ses écrits sur la non-violence sont lus et certains intellectuels et leaders d’opinion, y compris des jeunes, s’y réfèrent ouvertement. Son ombre est présente dans les marches de la non-violence organisées régulièrement depuis plusieurs années à Bil’in et dans d’autres villages, auxquelles se joignent des Israéliens et des Occidentaux. Une photo publiée en 2010 montre trois manifestants de Bil’in déguisés respectivement en Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Abou Rahmah, un militant non-violent récemment libéré après plus d’un an de prison, est parfois appelé « le Gandhi palestinien ».
Il faut résister à la tentation de trop « romancer » Gandhi, écrit l’intellectuel israélien David Shulman à propos d’une récente biographie du Mahatma *. L’homme avait ses faiblesses et était capable de cynisme. Mais son combat pour une solution non-violente en Inde et ailleurs reste et demeurera à jamais un exemple impressionnant, doué d’une grande force d’entraînement. Peut-on imaginer que la résistance civile puisse constituer une base pour faire bouger les lignes et mener à une solution durable au problème israélo-palestinien ? C’est l’objet du présent dossier.
Dans ce dossier :
Notes
* Joseph Lelyveld, Great Soul. Mahatma Gandhi and His Struggle with India (« Grande âme. Mahatma Gandhi et son combat avec l’Inde »), Knopf, 2011.