Les chimpanzés n’ont pas besoin de lire les journaux. Ni de se brancher sur Internet. Comme les autres animaux, ils vivent dans un univers où l’information est le plus efficace possible. Cela reste à peu près vrai dans les sociétés traditionnelles étudiées naguère par les ethnologues, du temps où existaient encore des peuples dépourvus de contacts avec le monde industrialisé. Les systèmes de mythes vécus par ces sociétés comportaient certes quantité d’informations fausses, figées par la tradition, mais celles-ci avaient une fonction aussi positive que le savoir et les savoir-faire servant à l’alimentation et à la vie quotidienne. L’information fausse peut constituer un ciment social efficace, comme on l’a vu encore au XXe siècle sous le communisme et comme on le voit de nos jours chez l’une de ses héritières, la Russie de Poutine.
Dans les sociétés ouvertes, l’information circule à peu près librement mais le contrôle qualité n’existe que dans certains domaines : les contraintes de la vie quotidienne, le résultat des élections... Dès que le sujet prête à opinion, la mauvaise information a tendance à chasser la bonne. Mauvaise parce que fausse ou gonflée, le superficiel chassant le pertinent. Faussée ou gonflée par le lobbying, la démagogie ou simplement l’idéologie. Les médias ont une responsabilité écrasante, parce qu’ils jouent trop souvent le rôle de caisse de résonance. Le constat n’est pas neuf. « Il faut avoir le courage d’être bête », disait Moïse Millaud, le cynique patron du
Petit Journal, lancé en 1863. Mais la bêtise se passe volontiers de courage.
L’omniprésence d’Internet a aggravé les choses, en promouvant deux illusions. La Toile donne le sentiment inexact que la bonne information est là, disponible et gratuite. Cela complique singulièrement la tâche des médias qui doivent payer des enquêteurs et des analystes. Ensuite, Internet renforce les effets d’entonnoir créés par les médias plus anciens. La plupart des internautes vont chercher sur la Toile non les idées ou les données qui seraient susceptibles de bousculer ce qu’ils croient, mais au contraire celles qui viennent confirmer leurs opinions. Le sentiment de mieux s’informer cautionne une dynamique d’enfermement. Les médias qui plaident au contraire pour l’ouverture d’esprit et le repérage des idées reçues se trouvent en porte-à-faux.
Pour ceux qui aspirent à produire de la bonne information et à la faire payer à son juste prix, les temps sont durs. Innovez ! nous dit-on, innovez ! Si vous avez des idées, dites-le-nous. Un grand merci à ceux qui ont répondu à
notre appel aux dons.