Ida ou l’ardeur
Publié dans le magazine Books n° 120, juillet-août 2022. Par Torben Müller.
En 1842, Ida Pfeiffer, une Viennoise de 44 ans, quittait tout pour partir à la découverte du vaste monde. Cette respectable mère de famille allait devenir la plus célèbre écrivaine voyageuse de son temps.
Le concert donné le 13 juin 1857 au palais de la reine de Tananarive, à Madagascar, aurait difficilement pu être plus bizarre. Une petite Européenne nerveuse était assise à proximité d’une porte donnant sur la cour intérieure ; elle frappait sur un piano pour en tirer une mélodie. La tâche n’était pas aisée : l’instrument était désaccordé, de nombreuses touches étaient bloquées – et la soliste n’avait pas joué depuis plus de trente ans. Elle s’appelait Ida Pfeiffer et n’était pas musicienne, mais c’était probablement la plus célèbre voyageuse de son temps. La reine Ranavalona Ire l’avait invitée à lui jouer quelque chose sur le piano qu’elle avait reçu en cadeau d’un homme d’affaires français. La souveraine était assise bien au-dessus de Pfeiffer, au balcon, et écoutait les fausses notes. Pfeiffer s’efforçait sincèrement d’exécuter des valses et des marches ; malgré sa prestation effroyable, elle fut applaudie. Elle ne pouvait se douter que la reine lui imposerait bientôt un voyage qui n’avait qu’un seul but : la...