Publié dans le magazine Books n° 108, juin 2020. Par Alexander Osang.
Pour Yehuda Maimon, la Seconde Guerre mondiale n’a pas pris fin avec la capitulation de la Wehrmacht et la libération des camps. Dans les années suivantes, il a cherché avec un groupe d’une cinquantaine de rescapés à venger des siècles de souffrance juive. Soixante-quinze ans plus tard, ce projet le hante encore.
Au bout de deux minutes seulement, il prononce le premier mot en allemand :
Wasser. « Vous voulez de l’eau ? » demande Yehuda Maimon. Il n’a plus parlé cette langue depuis au moins cinquante ans. Il l’a apprise à l’école, à Cracovie. Il a aussi cessé de parler le polonais, sa langue maternelle, bien qu’il ait été marié soixante-dix ans avec Aviva, originaire de Pologne comme lui. Lorsqu’ils se sont rencontrés, elle s’appelait Freda Lieberman et lui Leopold Yehuda Wassermann. En Israël, ils ont changé de nom et se sont mis à l’hébreu. C’était la condition d’un nouveau départ. C’était la langue du nouveau peuple qu’ils voulaient devenir. Des gens nouveaux et forts.
Pendant les nombreuses heures que nous passons ensemble, Yehuda Maimon s’exprime en hébreu, mais, de temps en temps, il emploie un mot allemand, sans doute parce qu’il n’existe que dans cette langue.
Kapo. Volkssturm. Arbeitsdienst 1. À un moment donné, il crie :
« Alle raus! Alle raus! » [« Tout le monde dehors ! »] « Parfois, il suffit d’un mot et...