Publié dans le magazine Books n° 45, juillet-août 2013. Par Elizabeth Mavor.
« Un mémorial à moi seule destiné, que je pourrai plus tard relire, quand le Temps aura gelé le cours de mes sentiments. » Le journal d’Anne Lister (surnommée « Gentleman Jack » en raison de son allure masculine) révèlent l’étonnant monde intérieur d’une lesbienne de la gentry anglaise à l’époque de Chateaubriand. Une femme dont la liberté de mœurs s’accordait à un tempérament profondément conservateur.
Pour qui et pourquoi tient-on son journal intime ? La question, toujours, se pose. Alors qu’il se rendait pour la première fois à Londres, en 1762, le jeune James Boswell avait bon espoir que la tenue de son journal lui crée « une habitude d’application et améliore [s]on expression ». Peut-être même l’exercice le rendrait-il « plus soucieux de bien faire » (1). Quoi qu’il en soit, John Johnston of Grange, un jeune homme sans éclat à peu près de l’âge de Boswell, mais dont la compagnie affectueuse et bienveillante l’apaisait davantage que toute autre, recevait chaque mardi vingt-quatre pages résultant de ce labeur volontaire.
Auteur d’un journal entamé l’année de ses 15 ans, la romancière Fanny Burney invoquait un autre motif : quand viendrait « l’heure où le temps prend le pas sur la mémoire », son journal conserverait la trace de ses idées, de ses habitudes, de ses relations et actions passées. À ces pages, elle pourrait aussi confesser « chacune de [s]es pensées » et « ouvrir tout [s]on cœur ». Pour un tel trésor, le seul dépositaire adéquat était, ainsi qu’elle l’observait avec...