Heurs et malheurs des petits États

Les macro-puissances règnent sur le monde, mais le monde s’en porte-t-il vraiment mieux ? Armen Sarkissian, ancien président de la République d’Arménie, plaide quant à lui en faveur des micro-puissances, plus agiles, plus déterminées et (relativement) inoffensives. Il s’appuie sur l’exemple d’une dizaine d’entre elles, sur un total de 150 aujourd’hui (contre une vingtaine en 1945) : Singapour, minuscule cité-État « au succès sans équivalent dans l’histoire moderne » ; ou le Qatar, passé en quelques décennies de « somnolent petit village de pêcheurs » à opulent pivot géopolitique du Moyen-Orient ; ou les Émirats arabes unis, dont on ne compte plus les prouesses économiques, architecturales, spatiales, écologiques même ; ou l’Estonie, parangon de l’État digital ; ou encore la Suisse, le Botswana, l’Irlande, la Jordanie, Israël… Cas par cas, l’auteur analyse les avantages de départ de certains de ces différents pays (diamants au Botswana, énergies fossiles dans le golfe Persique, généreuses diasporas pour Israël ou l’Arménie…), mais aussi leurs handicaps et – l’essentiel selon lui – les processus politiques ayant abouti à leur réussite. Ce qui permet de mettre en lumière, derrière les considérables différences, les facteurs communs de succès : « sentiment d’identité, détermination, et une gouvernance politique compétente, visionnaire et pragmatique […] capable de réagir avec agilité tandis que les grandes puissances demeurent indécises face aux évolutions économiques, géopolitiques ou technologiques », résume le Financial Times. On peut encore ajouter : dextérité diplomatique (nécessité fait loi !), constance politique (« les grandes puissances recherchent la domination, les petites la stabilité ») et capacité d’innovation (« sur les 10 premières nations du Bloomberg Innovation Index, 8 sont des micro-États »).


Et quid de l’Arménie, que l’auteur a dirigée quelques années, puis présidée de 2018 à 2022 ? Cette nation ultra ancienne, la première de la chrétienté, s’est (re)lancée dans la vie indépendante, en 1991 juste après l’explosion de l’URSS, avec beaucoup d’atouts : « une population cohérente et unie […], une diaspora très aidante […], d’importantes installations industrielles – dont une centrale nucléaire – […] et un sage président, Levon Ter-Petrossian ». Le parallèle avec Israël s’impose : deux petits pays ancrés dans leur religion et une longue et douloureuse histoire (pogroms et génocides, l’arménien ayant servi de « modèle » à Hitler), de graves problèmes originels (la question palestinienne et celle du Haut-Karabagh), mais pouvant pareillement s’appuyer sur une puissante diaspora et de puissants alliés. Hélas, la comparaison s’arrête là. En 2022, Armen Sarkissian jette l’éponge car il ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour pratiquer une diplomatie dynamique, cajoler la diaspora et transformer son pays. L’Arménie, regrette-t-il, a agencé sa Constitution en fonction « d’intérêts privés » et n’a pas opté pour un modèle efficace de développement comme l’israélien ou l’irlandais, plutôt pour un « no-model model » qui a réduit l’Arménie « à n’être plus qu’une petite oligarchie insulaire ». Ce physicien d’origine, ex-créateur de jeux vidéo et businessman, se consacre désormais à la géopolitique et à la promotion des micro-États dont il reconnaît qu’en dernière analyse la réussite dépend principalement de la qualité de leur gouvernance et donc de celle de leur leader. Peut-être l’Histoire lui redonnera-t-elle l’occasion de confirmer en personne cette théorie.

LE LIVRE
LE LIVRE

The Small States Club de Armen Sarkissian, Hurst, 2024

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