Heureux les somnambules !
Publié dans le magazine Books n° 55, juin 2014. Par Volker Ullrich.
Ce sont bien les gouvernements de Vienne et de Berlin qui ont transformé la crise du début de l’été 1914 en épreuve de force. La réception enthousiaste réservée par les Allemands à la thèse des « somnambules », qui atténue la responsabilité du Reich, est le reflet malsain d’une ambition de puissance retrouvée.
Il lui fallait « de nouveau cracher dans la soupe » : c’est en ces termes que Rudolf Augstein, le fondateur de l’hebdomadaire Der Spiegel, s’adressait à ses lecteurs en mars 1964, à l’occasion du cinquantième anniversaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale. À l’école, on leur avait appris qu’elle était « née d’un malheureux enchaînement de circonstances » et que les puissances européennes – pour reprendre le mot célèbre du Premier ministre britannique Lloyd George – s’étaient laissées « basculer dans la guerre » [lire l’article de Robert Messenger]. Mais, au vu des « recherches les plus récentes », il ne pouvait plus être question de cela : « Les deux guerres mondiales étaient des guerres allemandes avec pour enjeu l’hégémonie en Europe et la première place dans le monde. L’Allemagne les a risqu&...