Publié dans le magazine Books n° 58, octobre 2014. Par Richard Wolin.
Couronnement des œuvres complètes du philosophe, les Cahiers noirs sont d’une lecture pénible pour ceux qui admirent la profondeur de sa pensée. Car, dans ces pages écrites entre 1931 et 1941, les considérations sur l’« histoire de l’Être » se mêlent à un antisémitisme exterminatoire. Ces textes révèlent une profonde analogie entre certains de ses concepts fondamentaux et l’idéologie nazie. Analyse d’une trahison philosophique.
Les
Cahiers noirs de Martin Heidegger (ainsi désignés à cause de la toile cirée et du cuir noirs de leur reliure) s’étendent sur neuf volumes, dont trois sont parus récemment chez Vittorio Klostermann, la maison qui édite les colossales
Œuvres complètes du philosophe. Quand le dernier tome aura paru, l’ensemble atteindra le chiffre ahurissant de 102 volumes – plus que les œuvres de Kant, Hegel et Nietzsche réunies. Heidegger se considérait lui-même sans modestie comme le plus grand penseur depuis Héraclite. Vers la fin de sa vie (il est mort en 1976), il programma méticuleusement l’ordre dans lequel seraient publiés les volumes de son œuvre. Les
Cahiers noirs devaient être le couronnement de l’édifice.
Des décennies durant, les curateurs des écrits de Heidegger ont soigneusement gardé le secret sur ces
Cahiers noirs. On les comprend aisément, vu leur contenu, profondément compromettant. Ils révèlent à quel point, durant les années 1930 et 1940, la philosophie de Heidegger était obsédée par la confrontation idéologique entre bolchevisme et nazisme, ainsi que par les menées ignobles de la «...