Publié dans le magazine Books n° 80, novembre - décembre 2016. Par Timothy Snyder.
Le conflit en Ukraine est d’abord l’expression d’une crise russe. La clique au pouvoir à Moscou a enfanté un système oligarchique, militariste et propagandiste qui ne peut que conduire à la guerre. La Syrie en est le dernier exemple. En filigrane, une obsession du statu quo héritée des années Brejnev qui ont forgé Poutine.
Certains, en Occident, ont vu en 1989, l’année même où naquit le reporter de guerre polonais Pawel Pieniazek, celle de la fin de l’histoire (1). Après les révolutions pacifiques à l’est, quelle alternative à la démocratie libérale pouvait-il bien rester ? L’État de droit avait remporté la victoire. L’intégration européenne allait aider des États plus fragiles à faire leurs réformes, et soutenir la souveraineté de tous. Peter Pomerantsev, fils de dissidents soviétiques partis se réfugier en Grande-Bretagne en 1978, pouvait « retourner » en Russie exercer son art de documentariste ; et Karl Schlögel, éminent spécialiste de l’histoire des émigrés russes, aller à Moscou consulter les sources de première main.
Mais assistions-nous à l’expansion de l’Ouest vers l’est, ou à l’inverse ? En 2014, un quart de siècle plus tard, la Russie incarnait une alternative cohérente : élections factices, oligarchie institutionnalisée, national-populisme et désintégration européenne. Alors quand, cette année-là, les Ukrainiens firent une révolution au nom de l’Europe, les médias russes proclamèrent la « décadence » de l’Union, et les troupes du pays envahirent le voisin au nom d’une...