Publié dans le magazine Books n° 89, mai/juin 2018. Par Barry Yourgrau.
Vladislav Sourkov n’est pas seulement le principal idéologue du régime de Poutine. Cet influent conseiller est probablement aussi l’auteur de plusieurs romans, souvent prémonitoires, qui servent de laboratoire à ses idées et, peut-être, d’exutoire à ses compromissions.
À l’été 2009, un court roman a fait sensation à Moscou. Centré sur un personnage d’éditeur gangster amateur de poésie, le livre est une satire noire, absurde, caustique et très bien informée de la corruption et des machinations politiques de la Russie postsoviétique, le tout agrémenté de collages et de références littéraires.
Si
Okolonolia, ou « Proche de zéro », qui avait pour sous-titre
Gangsta Fiction dans l’édition russe, a fait sensation, c’est en raison de l’identité de son auteur, un inconnu du nom de Natan Doubovitski. On a très vite suspecté (non sans l’aide d’un tuyau anonyme fourni par son éditeur au quotidien
Vedomosti de Saint-Pétersbourg) qu’il s’agissait du pseudonyme de Vladislav Sourkov, alors chef adjoint de l’administration présidentielle. Cet idéologue du Kremlin était sans doute à l’époque le deuxième ou troisième homme le plus puissant du pays. C’est Sourkov, tour à tour qualifié de
polittekhnolog ou « sorcier de la com’ » (1), d’« éminence grise » et de « tireur de ficelles », qui avait créé et orchestré la fameuse « démocratie souveraine »...