Publié dans le magazine Books n° 4, avril 2009. Par Alessandro Dal Lago.
Le livre que Roberto Saviano a consacré à la Mafia napolitaine est un phénomène éditorial mondial : vendu à 1,2 million d’exemplaires en Italie, il a été traduit dans 42 pays. Comment expliquer le succès, sur un sujet rebattu, d’un livre qui ne contient aucune révélation ? Pourquoi l’auteur a-t-il été condamné à mort par la Camorra, quand d’innombrables études scientifiques et autres enquêtes judiciaires avaient déjà tout dit ? En raison de la force évocatrice d’un récit écrit à la première personne, explique un sociologue italien. « J’y étais », dit Saviano à son lecteur, créant un effet de réel exceptionnel. Mais de quelle sorte de vérité s’agit-il là ? « Gomorra » met au défi la capacité narrative des sciences sociales et nous interroge, au-delà, sur ce que raconter veut dire.
Gomorra est beaucoup plus qu’un livre. C’est à la fois un phénomène éditorial et une affaire criminelle, l’auteur menacé de mort par la Camorra vivant aujourd’hui sous protection policière. C’est aussi, manifestement, un miroir de la conscience que notre pays a de lui-même. À l’automne 2006 [à sa sortie], des journalistes, des écrivains et des hommes politiques ont témoigné leur solidarité à Roberto Saviano, le comparant à Salman Rushdie et à d’autres cibles de la haine. Umberto Eco a publiquement salué la valeur politique et morale de l’auteur et de son livre. Une telle aura d’héroïsme civique rend bien sûr assez difficile l’évaluation objective de la qualité de l’ouvrage. D’autant qu’il n’est pas facile d’identifier véritablement de quelle catégorie de livre il s’agit. Car voilà un texte qui mêle de nombreux genres : l’enquête journalistique, le manifeste citoyen, l’autobiographie, le roman, et même, dans une certaine mesure, l’enquête ethnographique – en tout état de cause l’enquête de terrain.
Gomorra transcende les classifications.
C’est un roman-vérité qui captive...