Génération perdue
Publié en juillet 2024. Par Books.
Pas perdue pour tout le monde, la « génération perdue »... « Attribuée à Gertrude Stein et exemplarisée par Hemingway, l’expression a nourri le mythe d’un groupe de génies solitaires inventant un art radicalement nouveau après les horreurs de la Première Guerre mondiale », écrit Gioia Diliberto dans The Wall Sreet Journal. Il s’agit d’hommes (américains surtout) arrivés à Paris dans les années 1920 sur les ailes d’un dollar surpuissant, et qui en repartiraient après 1929 avec quelques belles œuvres à leur actif – mais épuisés par l’alcool, la drogue et autres débauches. Or cette génération a aussi eu des gagnants, qui sont pour l’essentiel des gagnantes. Robyn Asleson, conservatrice à la National Portrait Gallery de Londres, en recense dans son ouvrage pas moins de 57, « artistes, écrivaines, éditrices, vedettes de music-hall, designeuses, collectionneuses, “salonnières” », qui ont connu des destinées tout aussi brillantes que leurs collègues masculins mais plus satisfaisantes sur le plan perso. Certaines étaient très riches (Natalie Barney, Nancy Cunard, Gertrude Vanderbilt Whitney, Peggy Guggenheim), d’autres ultra-pauvres. Un bon nombre étaient des lesbiennes auxquelles Paris permettait enfin de vivre au (très) grand jour, comme Gertrude Stein et Alice Toklas, Natalie Barney, Sylvia Beach, l’éditrice de James Joyce… D’autres étaient noires, comme Joséphine Baker, la sculptrice Meta Vaux Warrick Fuller, la peintre Lois Mailou Jones ou la fameuse crypto-noire Belle Greene. Alors qu’en Amérique se mettait en place la ségrégation raciale des lois Jim Crow, elles savouraient en France la possibilité d’aller dans n’importe quel théâtre ou restaurant et même, grâce à la « négrophilie » ambiante, de connaître le succès. Car blanches ou noires, hétéros ou homos, riches ou pauvres, rien n’empêchait toutes ces dames venues de loin d’être reconnues artistiquement ou professionnellement à Paris, tandis qu’« at home » ce n’était pas encore l’heure. Elles allaient même dans ces années-là carrément dominer le milieu des expatriés en France et « avoir un impact considérable sur le modernisme artistique à Paris », explique l’auteure. Hélas, tout rentrerait bientôt dans l’ordre – l’ordre nazi.