Génération encombrée
Publié en mars 2024. Par Books.
« On peut s’affranchir de sa classe, pas de sa génération », note l’essayiste et historien Gustav Seibt dans le Süddeutsche Zeitung. D’où quelques notables différences entre les ouvrages qui sont consacrés à l’une ou à l’autre de ces deux catégories. « Le livre sur la classe sociale vit de la dénonciation et de l’évasion – des conditions difficiles, surmontées notamment par l’écriture et le récit, poursuit Seibt. Le livre de génération est plus gai, plus contemplatif, il se réfère volontiers à des expériences communes, à des goûts partagés, il a aussi, comme récit du temps vécu, quelque chose de nostalgique. »
Le sociologue Heinz Bude est un spécialiste de ces livres consacrés à une génération en particulier. On lui en doit un sur les Allemands nés entre 1938 et 1948 (les « soixante-huitards »), un autre sur la « génération Berlin », néologisme de son invention qui désigne ceux qui sont nés entre 1960 et 1965. Le voilà qui s’attaque à présent aux fameux « boomers », qui recoupent en partie d’ailleurs la « génération Berlin », puisqu’ils correspondent à la génération née entre 1955 et 1965, au plus fort du baby-boom.
Bude passe en revue différentes étapes de la vie de ces boomers allemands. Leur enfance au sein d’un pays sortant tout juste de la guerre, où l’on pouvait apercevoir un coiffeur jongler dans son salon avec une prothèse de jambe ou avoir un voisin à qui manquait un bras et qui gagnait sa vie comme veilleur de nuit. Beaucoup étaient enfants de réfugiés et de déplacés. « Ils ont vu toute l’énergie de leurs parents se dépenser dans la construction d’une maison individuelle », rappelle Bude. Autres événements marquants : l’Ostpolitik de Willy Brandt, les attentats de la bande à Baader, Tchernobyl et, bien entendu, la Réunification.
En RFA, le nombre des naissances atteint un sommet inégalé en 1964. La principale expérience commune de cette classe d’âge plus nombreuse qu’aucune autre ? Peut-être un sentiment de trop plein, justement, d’encombrement : « voies de formation bouchées, marchés du travail saturés. La réponse a été le pragmatisme et les solutions provisoires – par exemple le développement des squats, des petites communautés, la culture des clubs. Des formes de vie alternatives au lieu d’une révolution mondiale, l’observation de soi au lieu d’une grande théorie », résume Seibt.