Foucault pour les chats
Publié en août 2009. Par Olivier Postel-Vinay.
L’article de Wikipédia sur Michel Foucault est de la bouillie pour les chats. Il est si mauvais qu’il n’est pas améliorable.
Je fais part ici des réactions de Charlie à la lecture de l’article «
Michel Foucault » dans Wikipédia. Jeune homme curieux de tout, mais
encore innocent (ou presque), Charlie a reçu une solide instruction
générale dans un bon lycée. Il a entendu parler de Foucault mais
reconnaît honnêtement n’en avoir pas lu une ligne. Son attention a été
attirée sur le sujet par un titre lu sur la couverture d’un nouveau
magazine, Books. Le titre qui l’a frappé est : « Foucault, crépuscule
d’une idole ». Avant de se résoudre à acheter le magazine en question,
il fait comme tout le monde, il se rend sur Google, tape « Foucault »
et tombe immédiatement sur l’article de Wikipédia correspondant.
C’était le 29 juillet dernier à 16h 34, heure française.
Charlie a lu scrupuleusement la dizaine de pages de l’article et n’y a
pas compris grand chose. Il entreprend de le relire. Il identifie bien
vite le problème. La pensée et l’œuvre de Foucault sont présentées de
manière confuse. Son premier livre, par exemple, Maladie mentale et
psychologie, n’est pas résumé. L’article mentionne que Foucault « le
désavoua par la suite », puis qu’il le réédita sous un autre titre, et
« qu’il le désavoua à nouveau par la suite ». Mais rien n’est dit sur
ce désaveu suivi d’un désaveu du désaveu puis d’un désaveu du désaveu
du désaveu. Déception.
Charlie voit ensuite que Foucault a soutenu deux thèses, dont l’une
semble avoir été publiée. Charlie le devine parce qu’il est écrit : «
Folie et déraison est très bien accueilli ». L’article ne dit rien de
plus sur ce livre : celui qui jugerait intéressant d’aller plus loin
doit cliquer sur le lien correspondant. Il y a un lien sur ce livre
comme il y en a sur quantité d’entrées sans intérêt pour notre sujet :
« 15 octobre 1926 », « Poitiers », « 25 juin 1984 », « Paris »... Il
n’y a pas de lien pour Maladie mentale et psychologie ni pour l’ouvrage
suivant de Foucault : Naissance de la clinique, évoqué en incise dans
une phrase.
Une fois passée une évocation des étapes de la vie de Foucault, en un
peu plus de trois pages, le reste de l’article est consacré à sa «
philosophie » (quatre pages), puis à la « réception » de l’œuvre (un
peu moins d’une page). La description de sa « philosophie » est divisée
en sept sous-parties de longueur inégale : « Thèmes », « Affiliation
philosophique », « L’auteur », « L’idée d’une microphysique du pouvoir
fondée sur l’analyse historienne » [sic], « L’hypothèse du biopouvoir
», « Le souci de soi », « Le vocabulaire de Foucault » et « Idées ».
Cette présentation chaotique fait résolument l’économie d’une analyse
même brève des livres du « philosophe », ce travail étant laissé, pour
certains d’entre eux, aux articles de Wikipédia auxquels le lecteur
peut se rapporter en cliquant sur le lien correspondant.
Sans vouloir perdre son temps à rechercher l’historique de l’article,
Charlie y relève les indices d’une belle confusion mentale. Pourquoi
a-t-on une sous-partie « Thèmes » et une autre « Idées »? Pourquoi y
a-t-il une sous-partie consacrée à « L’auteur » alors que sa vie a été
racontée dans la première partie ? Dans le détail, Charlie voit un
pot-pourri de phrases qui s’enchaînent sans ordre ni méthode, dans un
français souvent approximatif. Du genre : « Michel Foucault est connu
pour avoir mis en lumière certaines pratiques et techniques de la
société par ses institutions à l’égard des individus ». Le tout
agrémenté d’une bonne dose de cuistrerie, source de phrases
particulièrement incompréhensibles, comme celle-ci : « L’adage de
L’Ordre du discours – « Remettre en question notre volonté de vérité ;
restituer au discours son caractère d’événement ; lever enfin la
souveraineté du signifiant »- vaut ainsi comme un avertissement contre
les écueils psychologisants de la problématisation bi-face du rapport à
soi et du rapport au présent ».
Les premières pages de l’article, consacrées à la vie de
l’intellectuel, sont à l’avenant. On y lit cette phrase : « Nombre des
débats, échanges et interviews impliquant Foucault se font alors les
échos de l’opposition entre l’humanisme, et de son affranchissement par
l’étude des systèmes et de leurs structures ». Le mot « parrhèsia » y
est lancé comme une bouteille à la mer, sans explication. Cuistrerie.
La sous-partie intitulée « Le vocabulaire de Foucault » est une liste
de mots sans commentaire sur lesquels on peut cliquer. Le premier mot,
« Archive », renvoie à un article de Wikipédia qui ne mentionne pas
Foucault.
Charlie s’étonne que la partie « Réception », du même tabac, ne
comprenne aucune indication précise sur les critiques dont Foucault a
pu faire l’objet. Il y est pourtant fait allusion à diverses reprises
dans le texte de l’article, mais ces critiques restent des fantômes. On
lit ainsi : « A l’automne 1968, il revient en France et publie
L’Archéologie du savoir, en réponse à ses critiques ». Lesquelles ?
Plus loin, on trouve : « Fin 1978 il se rend à Téhéran précipitamment,
après le massacre de la place Jaleh. A son retour il rédigea plusieurs
articles enthousiastes quant à [sic] la Révolution iranienne ; une
chaude polémique s’ensuivit ». Quelle polémique ?
La partie sur la « philosophie » de Foucault s’ouvre par cette phrase
invraisemblable : « Foucault est généralement connu pour ses critiques
des institutions sociales, principalement la psychiatrie, la médecine,
le système carcéral, et pour ses idées et développements sur l’histoire
de la sexualité, ses théories générales concernant le pouvoir et les
relations complexes entre pouvoir et connaissance, aussi bien que pour
ses études de l’expression du discours en relation avec l’histoire de
la pensée occidentale, et qui ont été largement discutées, à l’image de
« la mort de l’homme » annoncée dans Les Mots et les Choses, ou de
l’idée de subjectivation, réactivée dans Le Souci de soi d’une manière
toujours problématique pour la philosophie classique du sujet ». Ayant
repris sa respiration, Charlie note que l’incise « et qui ont été
largement discutées », injectée dans ce fatras comme un alibi. Aucune
référence à ces « larges discussions ». Aucune piste qui permette de
s’en faire une idée. Enfin la partie « Réception » elle-même se
contente de signaler, dans une autre phrase en papier mâché : « La
conception que Foucault défendit des intellectuels face aux pouvoirs,
avançant la figure de « l’intellectuel spécifique », et son rapport au
marxisme, continuent de nourrir les controverses ». Quelles
controverses ?
Cet article indigent est étayé par une bibliographie impressionnante :
en plus des livres de Foucault, pas moins de 76 ouvrages sont cités.
Sans le moindre commentaire, naturellement. Hommage soit rendu à la
cuistrerie, songe Charlie
L’ensemble est si mauvais, juge Charlie, qu’il n’est pas même
améliorable. De la bouillie pour les chats. Il faudrait reprendre
l’exercice à zéro. Mais ne serait-ce pas contraire aux principes mêmes
de Wikipédia ?
=> Pour comparer : lire les articles des encyclopédies Universalis et Britannica sur Michel Foucault