Folie au sommet

Comment Javier Milei a-t-il pu recueillir 56 % des voix et devenir le président de l’Argentine ? C’était en novembre 2023. Il avait émergé sept ans plus tôt en parlant d'économie et de mathématiques sur une chaîne de télévision. Obsédé par le personnage, son compatriote le journaliste Ernesto Tenembaum tente de comprendre qui est cet homme à la tronçonneuse et pourquoi l’électorat a décidé de tolérer des propos et des actes qu’on ne tolère pas venant d’autres politiciens – notamment le fait qu’il se livre à l’égard des femmes « à des agressions verbales répétées, faisant à tout bout de champ des commentaires sexuels inappropriés ».


Malgré le peu d’empathie que le personnage lui inspire, Tenembaum dit s’être efforcé de l’analyser dans un esprit de neutralité, confie-t-il dans un long entretien au journal La Nación. Après des heures de visionnage de vidéos et avoir lu les commentaires qu’elles ont suscités, il admet : « Milei exprime des convictions que je croyais inexistantes dans la société argentine et c’est peut-être la raison principale de ma perplexité. J’étais fier que la démocratie soit une valeur indiscutable, qu’Alfonsín [premier président élu démocratiquement après la dernière dictature] soit une personnalité incontestable, que l’on puisse remettre le pape en question sans être conspué, que les minorités sexuelles soient respectées. Or, cachée sous nos radars, il y avait clairement une Argentine que nous n’avons pas vue. Je me suis reproché de ne pas l’avoir perçu. » 


Tenembaum relate comment ce candidat improbable arrive à la présidence, sans financement, sans trajectoire politique définie, sans alliances significatives, maniant un discours politiquement incorrect – et alors même qu’il a perdu le dernier débat présidentiel. Il décrit un homme battu et humilié dans son enfance, un homme qui souffre et qui veut être reconnu. Il fait un parallèle avec Elon Musk, humilié pendant les récréations dans les écoles primaires qu’il a fréquentées en Afrique du Sud. 


« Milei est un agitateur politique d’une efficacité insensée. Pour consolider son pouvoir, il défend tout et son contraire, explique Tenembaum : le libéralisme et l’illibéralisme, la réglementation de l’État et sa déréglementation… » Un seul axe : « le culte de sa personnalité. Il se perçoit comme quelqu’un de gigantesque entouré de pygmées, de lilliputiens, de cafards, termes choquants qu’il emploie contre ceux qui le critiquent dans le domaine de l’économie ».  


« Je ne partage pas l’idée selon laquelle la folie mégalomaniaque puisse résoudre les problèmes d’un pays », conclut Tenembaum.   

LE LIVRE
LE LIVRE

Milei. Una historia del presente de Ernesto Tenembaum, Planeta, 2024

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