Publié dans le magazine Books n° 66, juin 2015. Par Enrique Krauze.
Qu’est-il arrivé à cette révolution faite au nom de la justice sociale ? Qu’est-il arrivé pour qu’un litre d’huile coûte trois jours de salaire, que les médecins conduisent des taxis et que les cadres vendent des briquets à la sauvette ? L’embargo américain, répondent les partisans du castrisme, oubliant un peu vite la litanie d’erreurs économiques commises par le régime. Le départ de Fidel, le rapprochement avec les États-Unis et les réformes engagées par Raúl suffiront-ils à tourner la page ?
L’histoire qu’on enseigne dans les écoles cubaines exalte le rôle rédempteur de la révolution cubaine mais elle la réduit aussi, pour l’essentiel, à une biographie de Fidel Castro. Un jour, peut-être, les enfants du pays auront accès à d’autres versions de leur passé. Si vient ce jour, « Visions du pouvoir à Cuba », de l’historienne américaine d’origine cubaine Lillian Guerra, devrait être une lecture obligée (et désolante). Ce livre raconte la manière dont s’est construite la plus longue dictature de l’histoire latino-américaine (qui est aussi à ce jour le plus vieux régime en place sur la planète).
Lillian Guerra nous offre ici une histoire sociale de l’assujettissement, volontaire ou subi, du peuple cubain au système instauré durant les années 1960 et 1970. S’appuyant sur près de vingt ans de recherches dans les archives cubaines et américaines, l’auteure reconstitue la manière dont Fidel Castro s’y est pris pour restreindre l’espace laissé aux libertés civiques, aux institutions autonomes et, enfin, à la société elle-même. Jusqu’à les dominer totalement.
Quand les révolutionnaires ont pris le pouvoir,...