Est-il bon ? Est-il méchant ?

Encore une prouesse à mettre au crédit d’Homo sapiens : celle d’avoir inventé la morale. À vrai dire, l’idée n’est pas franchement nouvelle, bien des philosophes ayant déjà postulé que la morale n’est ni immanente ni universelle, mais plutôt (comme la religion, l’État, le commerce et autres merveilles) une émanation de la raison (Kant), une création « artificielle » (Hume), bref une construction purement humaine dont Nietzsche a même pu esquisser la « généalogie ». Mais tandis que Nietzsche se focalise sur les deux millénaires qui ont vu l’effacement de la virile morale antique au profit de la regrettable « moraline » chrétienne, le philosophe allemand Hanno Sauer traque pour sa part l’émergence de la morale depuis que nos très lointains ancêtres ont quitté la jungle protectrice pour se mettre à découvert dans la savane où ils ne pouvaient survivre qu’en coopérant. Son analyse multidisciplinaire fondée sur l’histoire comme sur la biologie et bien d’autres sciences retrace la façon dont l’évolution a façonné nos valeurs morales et nos comportements en promouvant les « bons » et surtout en punissant les « mauvais ».


Au fil des générations, notre espèce est ainsi devenue plus « gentille », plus tolérante. Imaginez un groupe de chimpanzés coincés dans un vol low cost : en peu de temps, le sol de l’appareil serait « couvert de sang et jonché de doigts et de pénis arrachés ». Nos contemporains, eux, sont capables (en principe) de supporter pacifiquement leur sort, un certain temps du moins. Évidemment, ces barrières morales sont fragiles et ne tiennent pas longtemps en cas de guerre. Mais Sauer est un optimiste ; il considère que l’évolution peut encore parcourir un long trajet. Dans The New Yorker, Nikhil Krishnan se montre plus sceptique. « Peut-être notre héritage nous rend-il tout autant aptes à entretenir des conflits sans fin (intergroupes) qu’à coopérer par intermittence (au sein d’un même groupe). » Nous connaîtrons bientôt la réponse, puisque pour la première fois de sa longue histoire, l’humanité va devoir montrer sa capacité à coopérer sur une base résolument globale face au changement climatique comme au risque de conflit nucléaire.

LE LIVRE
LE LIVRE

The Invention of Good and Evil: A World History of Morality de Hanno Sauer, Oxford University Press, 2024

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BOOKS n°123

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