Esprit critique et pouvoir technocratique
Publié dans le magazine Books n° 100, septembre 2019. Par Hervé Le Bras.
Quand les mots sont vidés de leur sens, comme on le constate dans les régimes « illibéraux » mais aussi dans nos démocraties, la critique perd toute justification. Le pouvoir technocratique en sort renforcé.
© Denis Pessin pour Books
Pour mettre fin aux guerres civiles qui ensanglantaient l’Europe depuis plus d’un siècle – guerres de Religion en France, guerre de Trente Ans en Europe centrale, guerre civile anglaise sous Cromwell –, les monarchies absolues ou modernes ont pris au XVIIe siècle la forme que Hobbes a décrite dans Léviathan. En échange de la garantie de leur sécurité, les sujets ont abandonné leur liberté civile mais conservé la liberté de penser en leur for intérieur. La dissociation est devenue complète entre ce qui relevait de la société, donc du pouvoir, et ce qui était du ressort de l’individu isolément. L’État prenait la forme d’une organisation rationnelle dont Giovanni Botero puis Jean Bodin avaient jeté les fondements avec la raison d’État, tandis que l’individu était réduit à un sujet émotionnel dont il fallait contrôler les impulsions – ou les passions dans le langage de l’époque.
Dans Le Règne de la critique, l’historien Reinhardt Koselleck a détaillé la lente réappropriation de la raison par les individus grâce au développement de la critique....
Cet article est réservé aux donateurs de Books.
Je donne tout de suite !
Déjà donné ?
Je me connecte pour en profiter