Publié dans le magazine Books n° 59, novembre 2014. Par Brent Cunningham.
Toutes les civilisations ou presque offrent au condamné à mort un dernier repas, qu’il prend seul ou accompagné de sa famille, de ses amis, voire de ses bourreaux. La tradition s’est perpétuée aux États-Unis, où le menu commandé par la victime fait l’objet d’une publicité considérable, alors que l’exécution elle-même a lieu depuis longtemps à l’abri des regards. Le sens de ce rite nous éclaire sur le pacte qui unit sous tous les cieux les vivants et les morts.
En janvier 1985, Pizza Hut a fait diffuser sur les écrans de Caroline du Sud un spot publicitaire dans lequel un condamné à mort passe commande de son dernier repas. Deux semaines plus tôt, l’État avait électrocuté un certain Joseph Carl Shaw, procédant ainsi à sa première exécution en vingt-deux ans. Il se trouve que Shaw avait réclamé une pizza pour ultime dîner. Les protestations n’ont pas tardé. La campagne a été retirée, et un représentant de l’entreprise a prétendu qu’il n’avait jamais été question de la diffuser en Caroline du Sud.
On comprend sans peine pourquoi les créatifs de Pizza Hut ont jugé opportune l’idée de ce spot. Le dernier repas offre ce mélange irrésistible de nourriture, de mort et de crime qui régente une petite industrie voyeuriste et commerciale. Studiofeast, un club gastronomique de New York où l’on dîne sur invitation, organise une soirée annuelle fondée sur les meilleures réponses à cette question : « Vous êtes sur le point de mourir, quel est votre dernier repas ? » Une multitude de livres, d’articles de presse et de projets artistiques...