Publié dans le magazine Books n° 72, janvier 2016. Par Volker Hagedorn.
Kafka n’était pas du tout le rêveur sombre et solitaire détaché du monde matériel que son œuvre peut évoquer. Expert en assurances reconnu, il aimait la vie, le sport, le vin, les femmes et les voyages. Il se délectait de spectacles populaires et les nouvelles technologies le passionnaient. Les angoisses de l’écriture appartenaient à une seconde vie.
Début août 1914. À Berlin, Vienne, Saint-Pétersbourg, Paris, partout règnent le tumulte et l’excitation. L’enthousiasme, même, pour cette grande aventure que l’on appelle la guerre. En l’espace de quelques jours, les puissances européennes se la sont toutes déclarée : l’Autriche-Hongrie aux Serbes, l’Allemagne aux Russes et aux Français. Le Luxembourg, la Belgique et la Grande-Bretagne se sont également laissé entraîner.
À Prague aussi, la capitale de la Bohême, qui appartient à l’Empire austro-hongrois, on fête les soldats qui traversent la ville, tandis qu’au 10 de la Bilekgasse un écrivain inconnu rédige cette phrase : « On avait dû calomnier Joseph K., car sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. »
C’est, dans une graphie bien lisible, l’un des incipit les plus célèbres de la littérature universelle, celui du roman de Franz Kafka
Le Procès, paru en 1925, un an après la mort de l’auteur. Une phrase apparemment anodine, dans laquelle se trouve déjà presque tout ce qui fait de Kafka l’un des plus grands écrivains du XXe siècle : les angoisses et...