Éloge de la nouvelle
Publié en mars 2025. Par Books.
La nouvelle serait-elle un genre mal-aimé en France, voire un genre maudit ? En tout cas il ne l’est pas en Argentine, dont l’auteure du El buen mal est considérée comme l’une des meilleures en langue espagnole. Le « cuentista » (le nouvelliste) est une tradition profondément ancrée dans la littérature argentine et Samanta Schweblin reconnaît l'influence de plusieurs auteurs tels que Bioy Casares, Cortázar et Borges « car [ses] histoires palpitent dans le corps de [ses] lecteurs avec la subtilité inquiétante de ce qui est inconfortable lorsque se mêlent le réel et l’étrange », peut-on lire dans le journal Página 12.
C’est ce que l’on découvre dans ce recueil de six nouvelles. La première est l’histoire d’une femme qui tente de se noyer telle une moderne Virginia Woolf argentine. Mais contrairement à l’auteure de Mrs Dalloway, elle décide que ses poumons ont eu assez d’eau et remonte à la surface. Dans une autre nouvelle, une femme reçoit un appel d’une amie qui a besoin de reconstituer la nuit fatidique où son fils est tombé d’une corniche dans une banlieue de Buenos Aires. Dans une autre encore, deux sœurs pendant leurs vacances s’introduisent la nuit dans la maison d’un poète maudit et alcoolique, qu’elles soignent et protègent, même si elles ne peuvent éviter la tragédie qui s’annonce. On trouve aussi dans ce recueil un narrateur respirant par trachéotomie qui découvre qu’introduire son doigt à l’intérieur est la seule chose qui lui permet d’établir un contact avec son père mort. Il y a aussi le laveur de vitres d’un hôtel qui soudain se reconnaît de l’autre côté d’une vitre, à l’intérieur d’une chambre, et il lui faut plusieurs secondes pour réaliser qu’en fait il voit son père, celui-là même qui l’a abandonné quelques années plus tôt.
Dans un entretien du journal El Español, Samanta Schweblin défend le pouvoir de la nouvelle. À la possibilité que l’écriture d’une nouvelle puisse faire passer son auteur pour un « paresseux », elle répond : « C’est tout le contraire, car lorsque vous écrivez une longue histoire, il est plus facile de continuer avec les mêmes personnages et les mêmes lieux ; vous les avez déjà créés, vous les connaissez. Mais avec la nouvelle, c’est totalement différent, il faut sans cesse recréer à partir de rien. » « Je ne pense pas à la longueur lorsque j’écris, ajoute-t-elle. Si une histoire fait 20 pages et une autre 250, c’est simplement parce qu’elle le demande. Je veux voir comment une histoire s’effondre. C’est là et seulement là que je décide d’en finir. »