Un nouvel anarchisme

Aux yeux des anarchistes purs, l’emploi des moyens légaux serait en quelque sorte l’abdication de leurs droits », remarque le Grand Larousse illustré au début du siècle dernier. Les hackers d’aujourd’hui renouent clairement avec cette tradition. On retrouve chez eux, pêle-mêle, les thèmes classiques des courants anarchistes de la fin du xixe siècle : une défense intransigeante de la liberté de l’individu, le refus de r especter des lois jugées oppressives, la remise en cause du droit de propriété. Ce sont bien les traits unissant des attaques aussi d ifférentes en apparence que celles qui ont été menées contre les sites d’entreprises de commercialisation de biens culturels, contre l’Église de scientologie, contre les firmes qui ont entravé WikiLeaks ou encore contre les sites de l’État tunisien lors du  Printemps arabe. C’est une forme d’idéologie à la fois molle et dure ; molle parce qu’elle n’est pas structurée (elle est d’une grande pauvreté intellectuelle), dure parce qu’elle s’en prend au principe fondamental du droit élaboré par les démocraties selon lequel nul ne peut se faire justice soi-même. La règle de l’anonymat entraîne inévitablement toutes sortes de dérives, allant du harcèlement sexuel ou raciste aux activités criminelles pures et simples. Mais dans l’ensemble, comme en témoigne le mouvement Anonymous, nos nouveaux anarchistes sont populaires. Comment l’expliquer ? D’abord, ils sont jeunes. D’une certaine manière, ils sont la version Internet du sourire triomphant de Cohn-Bendit en 1968. L’adolescence a ses raisons, qui passent avec les années – en témoigne la reconversion de maint hacker dans les services de sécurité. Mais le phénomène appelle une analyse plus profonde. Une piste est suggérée par le politologue américain Mark Lilla. Dans un article repris récemment par la revue Le Débat, il développe l’idée que nous sommes entrés dans un « âge libertarien ». Il écrit : « La simplicité dogmatique du libertarianisme  explique pourquoi des gens qui par ailleurs ont peu en commun peuvent y souscrire : les fondamentalistes de l’État minimal au sein de la droite américaine, les anarchistes au sein de la gauche européenne et américaine, les prophètes de la démocratisation, les absolutistes des libertés civiques, les croisés des droits de l’homme, les évangélistes néolibéraux de la croissance, les hackers voyous, les fanatiques des armes à feu, les producteurs de pornographie et les économistes de l’école de Chicago dans le monde entier.  Plutôt bien vu.

ARTICLE ISSU DU N°64

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