Publié dans le magazine Books n° 88, mars/avril 2018. Par Thomas Nagel.
Ce camp devait servir de vitrine au régime nazi. Pour les déportés, il est devenu un abîme de dilemmes moraux. Les SS y avaient confié aux juifs eux-mêmes la gestion des affaires courantes – et donc la tâche de désigner ceux qui allaient être exterminés.
Le camp de concentration de Theresienstadt
[ou Terezín], situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Prague, occupe une place unique dans le dispositif d’extermination des nazis. Bien que sa principale raison d’être soit de regrouper les juifs de Tchécoslovaquie, d’Autriche et d’Allemagne en vue de leur déportation vers les camps de la mort en Pologne, les nazis le présentent au monde extérieur comme une colonie juive gouvernée par ses habitants afin de faire croire qu’ils débarrassent la société allemande des juifs de manière humaine et civilisée. Le camp possède sa propre administration, composée de déportés juifs qui, sous le contrôle absolu des SS, doivent mener à bien ces deux missions à la fois. Et c’est ce qui fait de Theresienstadt, comme le souligne l’écrivain et historien tchèque H. G. Adler, « la plus horrible des danses macabres de l’histoire de la persécution des juifs sous Hitler ».
Commençons par les chiffres : entre novembre 1941 et avril 1945, quelque 141 000 personnes sont déportées à Theresienstadt. Pendant cette période, 33 500 d’entre elles y trouvent la...