Publié dans le magazine Books n° 63, mars 2015. Par Books.
Les attentats du mois de janvier vont sans doute conforter certains dans leur haine de l’islam. C’est exactement ce qu’espèrent les terroristes. Pour sortir de cette impasse, il faut mesurer l’extrême intrication de ce qui se joue sous nos yeux. Des caricatures de Mahomet au cas Anders Breivik, croisé islamophobe qui ressemble tant aux frères Kouachi, en passant par les vraies raisons du succès de l’État islamique, fossoyeur des religions minoritaires du Moyen-Orient, notre dossier déploie toute la complexité de la situation.
Le djihadisme nourrit l’islamophobie et réciproquement. Ce couple terrible est analysé par le dessinateur new-yorkais Art Spiegelman à propos de l’affaire des caricatures danoises en 2006 et par le journaliste et universitaire Adam Shatz à propos de l’affaire Breivik, l’auteur du massacre d’Oslo en 2011. En organisant un concours de caricatures représentant la figure du Prophète, le quotidien danois
Jyllands-Posten, connu pour son hostilité aux immigrés, avait certes exploité son droit à la liberté d’expression mais très consciemment offensé les musulmans. La caricature est une arme magnifique contre le pouvoir, plus contestable quand elle s’en prend à une communauté entière. Ce jeu d’apparence innocente a mis le feu aux poudres, avivant les extrémismes des deux bords, en Europe, dans le monde arabe et jusqu’au Pakistan. La presse américaine, elle, a fait assaut de politiquement correct, refusant de publier les dessins en cause, qui étaient pourtant la base de l’information utile.
En perpétrant sa tuerie, le Norvégien Anders Breivik était mû, on l’a peut-être oublié, par une islamophobie pathologique. Il avait repris à son compte la thèse de l’islamisation rampante de l’Europe, de « l’Eurabie », et entendait châtier les élites de la gauche norvégienne qui, selon lui, laissaient faire avec complaisance. Les désirs qui l’animaient, écrit Shatz « n’étaient guère différents de ceux de ses ennemis djihadistes : revanche, aventure, gloire ». Mais ses fantasmes identitaires sont partagés par beaucoup en Europe. Ils ont même infiltré des partis de gauche traditionnels. Et, en Norvège comme ailleurs, on observe une priorité donnée à la liberté d’expression sous toutes ses formes, au « droit d’offenser », sur le souci d’accorder aux minorités silencieuses respect et protection.
Loin de l’Europe, au Proche-Orient et en Afrique, la querelle sur l’islamophobie est sans objet : l’enjeu, très concret, est le combat contre le fanatisme islamiste, qui est parvenu à instaurer le califat sur de vastes territoires.
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