Publié dans le magazine Books n° 83, mai / juin 2017. Par Timothy Garton Ash.
Que s’est-il donc passé ? En 2005, l’Union élargie aux pays de l’ancien bloc de l’Est baignait dans l’euphorie. Se nourrissant des ratés du libéralisme économique, les populistes menacent aujourd’hui non seulement le projet européen, mais aussi la démocratie libérale.
Si j’avais fait le choix de me faire cryogéniser en janvier 2005, je me serais assoupi comme un Européen heureux. Avec l’élargissement de l’Union européenne à de nombreuses démocraties postcommunistes, le rêve d’un « retour dans l’Europe » qu’avaient caressé mes amis de l’est du continent à la chute du mur de Berlin en 1989 venait de se réaliser. Les États membres de l’UE s’étaient mis d’accord sur un nouveau traité constitutionnel, appelé Constitution européenne. Le projet sans précédent d’une union monétaire avançait en dépit du profond scepticisme qu’il m’inspirait, à moi et à tant d’autres. On pouvait voyager sans entrave d’un bout à l’autre du continent, sans contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen et avec une monnaie unique en usage dans toute la zone euro. C’était fabuleux. Comme si on avait de nouveau ouvert en grand les fenêtres d’un ancien palais plongé dans la pénombre : les rayons du soleil y chassaient l’obscurité pour inonder de lumière Madrid, Varsovie, Athènes, Lisbonne et Dublin.
On avait le sentiment que la...