Publié dans le magazine Books n° 81, janvier / février 2017. Par Konstantin von Hammerstein.
Pour les transfuges est-allemands, le passage à l’Ouest n’était pas toujours l’assurance de connaître une vie sûre et tranquille. Traquant ceux qu’elle soupçonnait d’espionnage – et elle en soupçonnait beaucoup –, la Stasi dirigeait tout un réseau de ravisseurs chargés de les ramener au bercail, qu’elle recrutait dans le milieu du banditisme. Il en allait du pouvoir de la classe ouvrière.
Il est 7 h 30, ce 8 juillet 1952, lorsque l’avocat Walter Linse sort de chez lui pour se rendre au bureau. Un taxi, moteur allumé, stationne devant sa villa Art nouveau de Lichterfelde, un quartier cossu de Berlin, avec deux hommes à bord. Linse ne les voit pas, dans son dos, faire signe à des complices. L’un d’eux lui demande du feu, puis lui saisit le bras et tente de l’étrangler. Linse parvient à se dégager et court, en toute inconscience, vers le taxi. Son agresseur le rattrape, le maîtrise et se jette avec lui dans la voiture. Le second poursuivant frappe l’avocat à la tête.
De nombreux témoins assistent à la scène. L’Opel Kapitän démarre en trombe, une portière à moitié ouverte d’où dépassent les jambes de Linse. Le visage plaqué au sol, l’avocat tente de se défendre. L’un de ses ravisseurs lui tire alors dans les mollets pour l’obliger à replier enfin les jambes.
Les kidnappeurs répandent des crève-pneus sur la chaussée pour arrêter la camionnette qui les a pris en chasse, klaxon hurlant. Son conducteur n’abandonne qu’après avoir essuyé des...