Publié dans le magazine Books n° 56, juillet-août 2014. Par Elizabeth Kolbert.
Obsédés par la réussite scolaire de leurs enfants, les Américains passent sur tout le reste. Ces petits princes renâclent à se lever de table pour prendre leurs couverts, à nouer leurs lacets ou à sortir les poubelles. Pourris gâtés, ensevelis sous leurs jouets, leurs vêtements, leurs ordinateurs, ils vivent dans un état d’éternelle adolescence jusqu’à un âge de plus en plus avancé.
L’anthropologue Carolina Izquierdo, de l’université de Californie à Los Angeles, a passé en 2004 plusieurs mois chez les Matsigenka, une peuplade aborigène de 12 000 âmes, qui vit au Pérou, dans le bassin de l’Amazone. Ses membres chassent le singe et le perroquet, cultivent le yucca et la banane, et confectionnent les toitures de leurs maisons avec les feuilles d’un certain type de palmier qu’ils appellent le « kapashi ». Un jour, Izquierdo décida d’accompagner une famille dans sa descente du fleuve Urubamba pour aller chercher ces feuilles.
Yanira, une fillette d’une autre parentèle, demanda si elle pouvait venir elle aussi. Izquierdo et le reste du groupe passèrent cinq jours sur le fleuve. Sans fonction clairement définie, Yanira ne tarda pas à trouver différentes manières de se rendre utile. Deux fois par jour, elle brossait les nattes sur lesquelles la petite troupe dormait pour en ôter le sable, et aidait à empiler les feuilles de kapashi qu’on allait rapporter au village. Le soir, elle pêchait des crustacés, qu’elle lavait, ébouillantait et servait à ses compagnons. Calme et maîtresse d’elle-même, elle « ne demandait rien », se souvint plus tard...