Publié dans le magazine Books n° 85, septembre / octobre 2017. Par Malte Henk.
Le hasard sculpte la nature, notre vie et celle des autres, pour le meilleur et pour le pire. Mais nous avons du mal à l’admettre, car nous avons besoin de comprendre et de maîtriser les événements, quitte à céder à la pensée magique. La solution est pourtant simple : il n’y a rien à faire.
© Bruno Barbey / Magnum
Même si, par extraordinaire, 83 garçons naissent à la suite dans une maternité, rien ne permet d’être certain que le 84e bébé sera une fille. Mais notre esprit a du mal à le concevoir.
L’homme sur qui c’est tombé a 47 ans. Je ne saurais dire à quoi il ressemble. Il est allongé sur la table d’opération, un tuyau dans la bouche, le corps et le visage recouverts. Son crâne a été fixé dans une armature de métal ; la peau de ce crâne a été découpée et rabattue vers le haut, formant comme une bouche sanglante. Puis la plaque osseuse a été retirée et le cerveau est maintenant à l’air libre.
Derrière la table d’opération, le neurochirurgien Oliver Heese, médecin-chef à la clinique Helios de Schwerin. Blouse verte, dans les mains des instruments qui ressemblent à des aiguilles, Heese regarde à travers un microscope suspendu au plafond dans le lobe temporal de son patient. Ce jour-là, j’ai le droit de regarder aussi.
Je vois quelque chose de très abstrait qui m’évoque une mine. Une gigantesque cavité éclairée dans la nuit. La structure la plus complexe de l’Univers. Cent milliards de neurones, autant qu’il y a d’étoiles dans la Voie lactée. La surface bat et clignote : ce sont les veines. Cela s’enfonce de façon abrupte dans...