Publié dans le magazine Books n° 22, mai 2011. Par John McWhorter.
La vieille idée que la langue des peuples contribue à structurer leur vision du monde est remise au goût du jour. Pourtant, elle ne résiste pas à l’examen. Un autre mythe a également la vie dure : celui que les langues non écrites sont condamnées à disparaître. Il n’en est rien, explique un linguiste.
À en juger par le succès de l’extrait du dernier livre de Guy Deutscher publié par le
New York Times Magazine, ledit ouvrage est bien parti pour régaler des lecteurs toujours amateurs de cette idée séduisante : les langues des peuples déterminent leurs façons de penser – en d’autres termes, que la grammaire engendre les conceptions culturelles.
« Ouiiiiiiii ! », ai-je entendu dans une salle de conférence où un linguiste suggérait que si les locuteurs d’une langue indigène d’Amérique utilisaient des préfixes en lieu de mots pour désigner les actions consistant à mélanger, tâter, ou suçoter des aliments, c’était parce qu’ils étaient en « symbiose culturelle » avec ces actions. Mais n’aimons-nous pas tous tâter et sucer ? Ce serait formidable de pouvoir lier grammaire et façon de penser, mais cette idée relève du mythe.
Guy Deutscher a le mérite de rappeler que la version originelle de cette analyse ne tenait pas la route. Benjamin Lee Whorf (inspecteur de sécurité-incendie de son état) prétendait, dans les années 1930, que la langue hopi, ne pouvant exprimer les temps...