Publié dans le magazine Books n° 47, octobre 2013. Par Malcolm Deas.
Comment deux fils de bonne famille, issus de la même bourgade, ont-ils pu se transformer l’un en guérillero, l’autre en paramilitaire au cours de la guerre civile qui a déchiré la Colombie ? Lui aussi originaire de la petite ville de Valledupar et familier des deux familles, l’écrivain Alonso Sánchez Baute tente de comprendre. Entre enquête sociologique, documentaire historique et fiction psychologique.
J’ai connu Valledupar (1) dans ma jeunesse, en 1964 ; je voyageais alors pour « connaître le pays », un projet vague et peu scientifique. J’avais épuisé mon argent liquide et je devais changer des chèques de voyage. Si je me souviens bien, il existait déjà une petite succursale de la Banque de la République, mais l’opération n’y était pas possible : le monopole du change était entre les mains de l’évêque de la ville. J’étais donc allé à l’évêché : patio frais, citronniers et, dans le salon, Monseigneur, un religieux espagnol. Je lui avais montré le taux de change dans le journal, mais il m’avait rétorqué que cela n’avait rien à voir avec la réalité de la ville. « On offre combien dans la rue ? » avait-il demandé. Dans la rue, on n’offrait rien du tout, et j’avais dû me résigner à la mesquinerie ecclésiastique. Dans le patio, un autre curé m’avait proposé des marchandises plus intéressantes : une bouteille de whisky – je me rappelle que ce n’était pas de l’Old Parr, si prisé à Valledupar, mais un honnête Old Smuggler – et du jambon de qualité...