Publié dans le magazine Books n° 57, septembre 2014. Par William Dalrymple.
Le yoga contemporain n’a pas grand-chose à voir avec les multiples traditions qui ont marqué l’histoire de l’Inde depuis deux mille ans ou davantage. Une exposition exceptionnelle qui a voyagé cette année aux États-Unis suggère que la méditation yogique a atteint son zénith sous les empereurs moghols musulmans aux XVIe et XVIIe siècles. Mais le yoga a aussi sa face sombre, voire sinistre, à l’opposé de toute forme de paix de l’esprit.
Vers 1600, l’art moghol connut une transformation spectaculaire. Les empereurs moghols en Inde étaient les plus puissants monarques de leur temps. Au début du XVIIe siècle, ils régnaient sur plus d’une centaine de millions de sujets, cinq fois le nombre administré par leurs seuls rivaux, les Turcs. Une bonne partie de la peinture issue des ateliers des premiers empereurs était de la propagande dynastique. On produisait des copies illustrées du journal de Babur, le conquérant qui apporta à l’Inde la dynastie musulmane des empereurs moghols en 1526, ainsi que des peintures délicates illustrant chaque épisode de la vie de son petit-fils, Akbar.
Et puis soudain, à ce moment de splendeur impériale, un jeune prodige hindou
khanazad (né au palais) nommé Govardhan se mit à peindre des images sans précédent dans l’art moghol. Ce n’était plus des tableaux de batailles ou de réceptions à la cour, mais des portraits finement observés d’hommes saints exécutant des
asanas, exercices destinés à concentrer l’esprit pour parvenir à la libération spirituelle et à la transcendance. Ironie de l’histoire, c’est donc seulement avec l’arrivée des musulmans,...