Dernier hiver à Benidorm
Publié dans le magazine Books n° 110, septembre 2020. Par Juan José Millás.
Un romancier et un photographe septuagénaires visitent, pour la première fois de leur vie, la station balnéaire la plus connue et la plus décriée d’Espagne. Et découvrent un univers parallèle peuplé de seniors venus profiter de la douceur du climat hivernal. C’était juste avant le confinement.
« De la terrasse de ma chambre d’hôtel, au 41e étage, on aperçoit une immense baie ceinturée de bâtiments colossaux et moins colossaux, qui évoquent une dentition irrégulière. »
Quand un homme entre dans une pièce, il y entre avec tout son passé », dit un personnage de la série Mad Men. Cette phrase me revient à la mémoire tandis que je fais la queue avec Jordi Socías, le photographe de ce reportage, à l’entrée de l’un des restaurants du Gran Hotel Bali, à Benidorm, qui propose un dîner-buffet à 12 euros. À l’hiver de nos vies (nous avons un siècle et demi à nous deux), Socías et moi avons reçu pour mission de raconter et de photographier l’hiver méditerranéen. Aucun de nous ne connaissait Benidorm, lieu mythique à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières et, de ce fait, forcément un peu irréel aussi.
La salle de restaurant a, comme l’indique le panneau à l’entrée, une capacité d’accueil de 1 400 personnes, chacune avec son passé. Et du passé, il y en a à revendre puisque, à de rares exceptions près, les clients sont là dans le cadre du programme de vacances seniors de...