Publié dans le magazine Books n° 75, avril 2016. Par Martin Gayford.
L’auteur de La Liberté guidant le peuple était pétri de paradoxes. Les impressionnistes voyaient en lui un précurseur, mais il fut aussi le dernier à peindre de grandes œuvres dans la tradition de Michel-Ange. Pessimiste, il méprisait le progrès et la modernité. Ce dandy décontracté cachait une âme torturée.
L’autre jour, au Louvre, j’ai remarqué que
La Liberté guidant le peuple attirait en permanence une petite foule de gens. Ils prenaient force photos, parfois des selfies devant le tableau. Aucun des chefs-d’œuvre de la peinture française accrochés à proximité, dont plusieurs Delacroix, ne suscitait une telle attention. Ce tableau de 1830, avec sa séduisante incarnation de la liberté, les seins nus et brandissant le drapeau tricolore, suivie par d’héroïques ouvriers et bourgeois, est devenu aux yeux du monde entier une image condensée de la France.
Qu’il s’agisse ou non d’un bon symbole du pays, on aurait tort de le prendre pour guide pour comprendre les sentiments de Delacroix à l’égard de sa patrie, de ses traditions révolutionnaires et du monde moderne qu’il voyait se développer autour de lui à Paris. Le peintre a sans doute approuvé la liberté, mais nettement moins la fraternité et l’égalité. On trouve probablement un témoignage plus sûr de ses opinions dans le décor qu’il peignit sur le plafond en demi-coupole de la bibliothèque de la Chambre des députés :
Attila suivi...