Publié dans le magazine Books n° 34, juillet-août 2012. Par Robert Gildea.
Le manichéisme des historiens français sur l’« Affaire » ne reflète pas la réalité. Les dreyfusards n’étaient pas tous des disciples des Lumières, ni les antidreyfusards tous des traditionalistes attardés. Mais le scandale a cristallisé la plupart des idées qui feront le XXe siècle : nationalisme radical, antisémitisme, sionisme, laïcité, déshumanisation de l’ennemi ou défense des droits de l’homme.
Le 14 février 1898,
Le Figaro publiait un dessin humoristique du caricaturiste Caran d’Ache. Dans la première case, tandis qu’un domestique apporte la soupe, le barbu qui préside le dîner familial prévient : « Surtout, ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ! » Dans la seconde, au-dessus de la légende « Ils en ont parlé », c’est le tohu-bohu : les chaises sont renversées, la vaisselle vole et les convives, hommes et femmes confondus, s’étripent à coups de fourchettes, de salières, de bouteilles ou à main nue.
Ce dessin est devenu le symbole des passions et dissensions suscitées par l’affaire Dreyfus qui, de part et d’autre de l’année 1900, a bouleversé la scène politique française. Il est curieux, fascinant même, d’observer combien l’histoire d’un homme condamné pour trahison – à juste titre pour certains, à tort pour d’autres –, et emprisonné pendant quatre ans sur une île lointaine, a pu diviser une nation. Le fracas s’en est propagé depuis les couloirs du tribunal ou les salles du Parlement jusque dans les meetings et dans les rues, en passant par les salons, les salles à manger et même les...