Dans le chaudron du Shanghai des années 1920
Publié en mai 2024. Par Books.
Pendant les cent dernières années, Chinois et Japonais n’ont pas d’abord été des ennemis acharnés puis, aujourd’hui, des partenaires ambivalents tiraillés entre conflits territoriaux toujours à vif (les îles Senkaku) et relations économiques intenses. Dans les années 1920, à Shanghai, les deux peuples s’entremêlaient au sein de cette quasi ville-monde, chaudron de toutes les turpitudes, de tous les trafics, de toutes les misères et de tous les tumultes politiques. L’écrivain japonaisRiichi Yokomitsu entraîne le lecteur dans les pérégrinations d’une poignée de Japonais vivant à Shanghai en 1925, voici un siècle exactement, au moment de l’incident du 30 mai, quand la police ouvre le feu sur des manifestants chinois. Le journaliste Segawa évolue dans le sillage d’un trouble « fixeur », Ishihara, et d’une geisha, Saeko. Cet attelage permet de parcourir tous les milieux, toutes les perversions sexuelles et tous les quartiers depuis celui, riche et cosmopolite, des Légations jusqu’aux bas-fonds les plus glauques. Un personnage exporte des squelettes humains. On découvre au passage des clivages qui surprennent – par exemple, il n’y avait pas les Japonais aisés d’un côté et les Chinois de l’autre, mais les riches de toutes les nationalités, chinoise comprise, qui vivaient entre le fleuve et la rivière Suzhou, et le bas peuple sino-japonais qui grouillait conjointement dans la zone sordide du nord de ladite rivière. Quant à l’auteur, Riichi Yokomitsu, mort à Tokyo en 1947, c’était un théoricien littéraire de haut niveau, une sorte de Roland Barthes qui aurait été en plus un (excellent) romancier – un pape des lettres nippones ou, mieux encore, « quelqu’un qu’on appelait à son apogée dans les années 1920 “bungaku no kamisama”, un dieu de la littérature ! », écrit sur son site Paul French, journaliste spécialiste de la littérature chinoise. Au Japon, le prix Yokomitsu est quasiment l’équivalent du Goncourt – et l’auteur éponyme aurait largement mérité cette distinction pour ce roman-ci, d’abord publié en feuilleton dans un magazine littéraire de 1928 à 1931.