Publié dans le magazine Books n° 50, janvier 2014. Par Perry Link.
La relation entre « fauteurs de troubles » et appareil de sécurité, en Chine, tient à la fois du bras de fer et du marchandage. Aussi brutaux que soient les interrogatoires, ils sont aussi l’occasion de joutes verbales étonnamment subtiles. D’un côté, les militants de la démocratie, seuls face à l’arbitraire, mais armés de leur connaissance du droit et d’un langage clair ; de l’autre, les agents, forts de la toute-puissance de l’État, mais piégés par l’hypocrisie du discours officiel et la crainte de perdre la face. Une partie serrée.
Le voyageur lambda qui se rend aujourd’hui en Chine n’a pas vraiment l’impression de séjourner dans un État policier. La population y vaque à ses occupations – travail, mode, sport, amour, loisirs, etc. – avec une vitalité débordante, sans paraître le moins du monde sous contrainte. Le gouvernement chinois consacre pourtant chaque année des dizaines de milliards de dollars à la politique de « weiwen » (l’abréviation chinoise pour « maintien de la stabilité ») –, davantage qu’il n’en dépense pour la défense nationale (1). La notion de « weiwen » recouvre non seulement les appareils policier, judiciaire et pénitentiaire, mais aussi l’activité des censeurs, des « faiseurs d’opinion » sur le Web, des agents du renseignement, de ceux qui espionnent les conversations téléphoniques et des petites frappes d’occasion, qui ont tous pour mission de maintenir les citoyens dans le rang. La cible ? Ceux qui ont précisément tendance à en sortir – les pétitionnaires, les ouvriers mécontents, certains enseignants et certains croyants… Les gardiens de la stabilité sont particulièrement attentifs au moindre signe de gestation d’un groupe non autorisé. Leur but est de tuer les « troubles » dans l’œuf.
Le « weiwen »...