Communiste, il porte un crucifix autour du cou
Publié en septembre 2024. Par Books.
L’écrivain et philosophe argentin Diego Tatián est attiré par la découverte d’un carnet que son grand-père paternel Krikor Tatián avait commencé à rédiger cinq ans avant son arrivée dans le port de Buenos Aires, en 1927, à l’âge de 23 ans. Le petit-fils explore les restes des archives familiales écrits en arménien, une langue incompréhensible pour lui. L’Argentine a reçu des dizaines de milliers d’Arméniens pendant et après la Première Guerre mondiale ; beaucoup étaient des rescapés du génocide perpétré par les Turcs entre 1915 et 1923. Plus de 100 000 Arméniens habitent aujourd’hui en Argentine.
Dans La tierra de los niños, Tatián reconstitue une mémoire familiale qui tourne autour de son grand-père, qui était berger avant d’apprendre le métier de tailleur. Il a failli mourir de faim avec sa mère et ses frères et sœurs dans un camp de réfugiés arméniens dans la ville syrienne de Homs.
Dans un certificat de santé et de bonne conduite retrouvé, Krikor déclare qu’il n’est « ni bolchevik, ni anarchiste ». Le sachant communiste, le petit-fils affirme : « il a dû mentir afin de sauver sa vie, pour partir loin ». Bien des années plus tard, la police de la ville de Córdoba en Argentine, lors d’une descente dans la boutique du tailleur recherchant ses fils, eux aussi communistes, le grand-père gagne du temps grâce à une ruse et permet à ses enfants de s’échapper par les toits.
Resté communiste jusqu’à sa mort en 1987, Krikor portait toujours une croix autour du cou. L’auteur en parle dans le journal Página 12 : « Un jour, probablement avec l’air vantard d’un adolescent qui regarde son grand-père comme un vieillard ne comprenant rien au monde, je lui demande s’il n’y avait pas une contradiction entre se réclamer communiste et chrétien à la fois. Il m’a regardé longuement, m’a caressé affectueusement la tête et m’a dit qu’un jour je comprendrai. »
L’autre fil que Tatián déroule dans La tierra de los niños concerne la vie de sa grand-mère Azniv Ohannessian, l’épouse de Krikor, arrivée en 1929 à Buenos Aires à l’âge de 9 ans. Il découvre le cahier de sa grand-mère écrit en espagnol où elle raconte avoir été obligée, à l’âge de 14 ans, d’abandonner l’école pour des fiançailles forcées – alors qu’elle rêvait d’étudier et de se cultiver. Azniv a écrit et publié à compte d’auteur un livre de cuisine, que son petit-fils a préfacé. Il suggère qu’elle a vécu l’écriture de ce livre comme une « compensation pour tant de promesses non tenues ».
Préfacé par l’écrivaine Ana Arzoumanian, La tierra de los niños comprend des photos de famille, avec le fer à repasser et les ciseaux du grand-père, « vestiges du naufrage de vies dans la mer du temps », qui « nous sont parvenus comme des reliques muettes d’un monde disparu » rapporte le journal Página 12.
« Qu’est-ce qui permet à quelqu’un de survivre dans l’adversité extrême ? La survie est-elle quelque chose d’invisible que certaines personnes abritent dans leur vie et qu’il est impossible de distinguer ? Quelque chose qu’elles portent en elles sans le savoir ? Une force ? Une intensité qui chérit le désir ? Une grâce ? Juste une chance ? Nous ne le savons pas », écrit l’auteur qui explore cet héritage comme s’il s’agissait de pièces archéologiques ayant survécu au génocide.