Publié dans le magazine Books n° 36, octobre 2012. Par Arika Okrent.
Le voyageur et l’anthropologue se délectent depuis longtemps de ce langage des mains que parlent, chacun à sa manière, tous les peuples du monde. Mais le phénomène étonne aussi les scientifiques : puisque la gestuelle intervient même lors de conversations entre aveugles de naissance ou au téléphone, elle est bien plus qu’un simple et pittoresque langage d’appoint. Mais quoi ?
Deux Juifs et un Anglais sont sur un bateau. Les Juifs, qui ne savent pas nager, commencent à se chamailler sur l’attitude à adopter en cas de naufrage. Pendant l’algarade, ils gesticulent tant que l’Anglais s’écarte pour éviter de prendre un coup. Soudain, l’embarcation commence à sombrer. Tous les passagers sauf les Juifs, trop absorbés par leur discussion pour remarquer quoi que ce soit, sautent par-dessus bord. Au terme d’une nage longue et épuisante, l’Anglais atteint enfin le rivage. Pour y retrouver les deux Juifs, qui l’accueillent jovialement. Stupéfait, il leur demande comment ils sont arrivés là. « Aucune idée, répond l’un d’eux. Nous avons simplement continué de parler dans l’eau. »
Une version de cette histoire est évoquée dans une thèse parue en 1941 sur « le comportement gestuel des Juifs d’Europe de l’Est et des Italiens du Sud à New York ». Son auteur, David Efron, avait grandi en Argentine dans un foyer juif orthodoxe et était venu faire son troisième cycle à Manhattan dans les années 1930. De son propre aveu, quand il parlait espagnol, ses gestes avaient « l’animation et la fluidité propres à de nombreux...